Désobéir en Démocratie

Manolo est étudiant en science politique et fait son mémoire de fin d’études sur le passionnant sujet de la désobéissance civile. Ayant lu un premier jet de son travail que j’ai trouvé fort intéressant, je lui ai proposé d’écrire un article sur ce sujet. En effet, la désobéissance civile me semble être un des moyens d’action les plus pertinents aujourd’hui dans notre piètre démocratie. Bonne lecture à tous, et merci à Manolo pour sa contribution à ce blog 🙂

Malgré la disparition des grandes causes de mobilisations des années 1970 (anticolonialisme, lutte pour les droits des femmes et des homosexuels, contre la ségrégation, contre la guerre du Vietnam et celle d’Algérie), la désobéissance civile persiste. Les années 2000 sont à n’en pas douter celles d’un intérêt renouvelé pour cette forme particulière de contestation. Parmi ces actes, citons par exemple les militants de RESF qui aident et protègent des familles sans-papiers, les Robins des bois d’EDF qui rétablissent le courant chez des familles modestes qui en étaient privées pour cause de défaut de paiement, ou encore les faucheurs d’OGM et les instituteurs refusant d’appliquer les nouveaux programmes scolaires.

La multiplication des pratiques désobéissantes va de pair avec un intérêt croissant des médias pour ce sujet. On ne compte plus les documentaires télé consacré aux désobéissants, ni les articles de journaux et les ouvrages grand public. Et, dans cette profusion éditorialo-médiatique, une question revient en permanence: la désobéissance civile est-elle bien légitime en démocratie ? Rappelons ici la définition qu’en donne le philosophe américain John Rawls : « La désobéissance civile peut être définie comme un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement ».

La désobéissance est-elle anti-démocratique ?

Précisons d’emblée qu’ainsi définie la désobéissance civile échappe au reproche qui voie en elle un germe d’anarchie. Dans désobéissance civile il y a « désobéissance » qui, si on l’imagine pratiquée à grande échelle, dessine dans nos imaginaires une France sens dessus dessous, à feu et à sang. Mais dans désobéissance civile, il y a aussi « civile ». Cela indique que la désobéissance ne doit pas se pratiquer « n’importe comment ». Tout les formes de désobéissance ne sont nécessairement civiles, au contraire. La désobéissance civile n’est ni délinquance, ni anarchie. Il s’agit au contraire d’une pratique strictement encadrée, qui présuppose notamment un double refus : refus de la violence d’une part, refus de la clandestinité d’autre part – au sens où les désobéissants civils agissent toujours publiquement et ouvertement, puisqu’ils assument pleinement leur action, et cherchent même à la rendre le plus visible possible.

Le problème de la désobéissance civile, c’est qu’en transgressant la loi – qui est, rappelons-le, le produit de la volonté générale – les désobéissants s’arrogent le droit de se soustraire à la volonté de la majorité. Or, qu’est-ce que la démocratie, sinon cette volonté de la majorité ? Voilà, à grands traits, comment est planté le problème dans la quasi-totalité des articles et reportages.

Deux possibilités s’offrent alors à nous. Soit, premièrement, nous prenons acte de cette critique, et nous tentons d’y apporter des contre-arguments. Ces contre-arguments se résument en général à un discours du type: « oui, les désobéissants transgressent la volonté majoritaire, mais la démocratie ne se réduit pas au respect de la volonté majoritaire; elle implique aussi le respect des droits de l’homme; donc une loi dont le contenu contrevient aux libertés individuelles fondamentales, même si elle a été votée par le Parlement (incarnation de la volonté de la majorité), ne mérite pas qu’on s’y conforme ».

Soit, deuxièmement, nous refusons purement et simplement d’entrer dans le débat sur la légitimité de la désobéissance civile, car nous considérons qu’il y un présupposé implicité – et erroné – dans le discours des anti-désobéissants. Ce présupposé réside dans l’idée qu’il y a pour les citoyens une obligation morale de se soumettre aux lois. Or, comme le suggère David Lyons, « rien ne laisse accroire que la désobéissance civile requiert une justification morale, parce que rien ne laisse accroire qu’il existe une obligation morale à obéir à la loi ».

Pourquoi obéir aux lois ?

Nous venons d’intervertir les rôles. Nous (mon « nous » s’identifie ici aux désobéissants) étions dans une posture défensive. On nous accusait de saper la démocratie en refusant le principe de majorité qui en est le pilier; il nous fallait répondre. Nous sommes maintenant dans le rôle de l’attaquant, car nous soutenons qu’il n’existe pas de bonne raison de se soumettre à la loi. Les désobéissants n’ont en conséquence aucunement besoin de démontrer le bien-fondé de leurs actions.

Ici le lecteur est censé réagir brusquement, par un :« mais si! Il existe de bonnes raisons d’obéir aux lois! Nous devons les respecter! » (c’est du moins vers ce type de réaction que j’ai souhaité vous conduire; si j’ai échoué, tant pis!) Mais alors, demandez-vous quelles sont ces raisons d’obéir à la loi ? Essayez ne serait-ce que de trouver une raison de respecter les lois, toutes les lois, quel que soit leur contenu. Car la question n’est pas ici de savoir si telle loi particulière doit être respectée (par exemple ne pas traverser au feu rouge), mais bien si toutes les lois votées par le Parlement doivent être respectées. Il s’agit de trouver une justification à l’idée que nous devons respecter sans conditions toutes les lois votées par le Parlement. Tel est le défi. Et si vous ne trouvez pas de réponse alors, ipso facto, vous devez reconnaître la légitimité de la désobéissance civile.

Pour avancer dans cette réflexion, demandons-nous : pourquoi obéissons-nous aux lois? Car, force est de reconnaître que la majorité d’entre nous respecte la plupart du temps les lois. Pourquoi? Parce que nous considérons que cela fait partie de notre devoir de citoyen? Vraiment? Ne serait-ce pas plutôt par habitude d’une part, et par peur de la sanction d’autre part? Autrement dit, pour deux raisons qui n’ont strictement rien à voir avec une adhésion morale et volontaire aux lois

J’espère que les quelques pistes de réflexions entre-ouvertes ci-dessus sauront vous intéresser. Et j’aimerais, pour conclure, rapporter ce conseil d’Howard Zinn:

Il faudrait davantage se soucier du penchant que montrent les individus confrontés à des injustices accablantes à s’y soumettre que de leur aptitude naturelle à se révolter. Historiquement, les évènements les plus atroces – guerres, génocides et esclavage – doivent plus à l’obéissance aveugle qu’à la désobéissance

Ainsi que cette réflexion de Thoreau:

Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison

A la lumière de cette réflexion, pensons ici à ce Rom qui vient d’être condamné à trois mois de prison ferme pour avoir mendi