Vente à découvert contre la dette Française : arme fatale ou factice ?

Selon la dernière rumeur qui circule sur la médiasphère, Sarkozy serait à l’origine du lancement le 16 avril prochain de nouveaux produits financiers permettant de spéculer contre la dette française. Mais l’information a été exagérément mal interprétée sur de nombreux points. Décryptage.

De quoi s’agit-il ? Eurex, leader européen des marchés de produits dérivés, va bientôt permettre à ses clients d’échanger des « futures » c’est à dire des contrats à terme avec pour actif sous-jacent les bons du trésor Français. Ces produits permettent (entre autre) de vendre à découvert de la dette française, une pratique jusqu’ici limitée à des fonds d’investissement d’une certaine taille. Ces outils permettront désormais à tout un chacun d’utiliser ces outils de spéculation.

Coïncidence ?

Pour certain, le fait que cette annonce coïncide avec l’arrivée prochaine des élections n’est pas un hasard. Il s’agirait d’une stratégie de Nicolas Sarkozy pour gagner les élections : en permettant aux marchés de faire pression sur la dette française, cela apporterait du crédit au discours pro-austérité budgétaire du candidat sortant.

Cette analyse a notamment été impulsée par le célèbre gestionnaire de portefeuille Marc Fiorentino y voit une « arme fatale contre la France« . Rapidement, l’affaire est reprise par de nombreux blogs et autres sites d’informations. Fabrice Epelboin y va également de son billet sur Reflets, avec en prime une pincée de complotisme :

C’est une véritable stratégie de la terre brulée qu’a mis discrètement en place Nicolas Sarkozy à la veille de ce qui semble être son départ de l’Elysée. En remettant en place des outils de spéculation accessibles à l’ensemble des acteurs du marché, et destinés à spéculer à la baisse sur la dette Française,  le gouvernement Français prépare un cataclysme financier et montre son sens du timing.

Toutefois, après avoir consulté quelques amis traders et fait quelques recherches complémentaires, mon point de vue est beaucoup plus nuancé.

Vente à découvert ? Rien de bien nouveau…

Tout d’abord, sur l’autorisation de vendre à découvert. Cette pratique n’a jamais été interdite si ce n’est en aout dernier sur certaines institutions financières. Renouvelée en novembre 2011, l’AMF a finalement mis fin à cette interdiction (pdf) le 13 février dernier. Mais cette décision n’a de toute façon aucun rapport avec la dette souveraine, elle ne concernait que les marchés actions du secteur financier.

Entre temps, les ministres européens ont d’ailleurs approuvé un texte visant à empêcher l’utilisation des CDS « nus », c’est à dire de spéculer sur la faillite d’un pays sans même posséder de titres de dettes de ce pays.

Ensuite, il faut savoir qu’il y a 13 ans, le marché des contrats à terme sur la dette souveraine existait : il était proposé par le MATIF, qui l’a fermé notamment en raison de la concurrence d’autres acteurs sur le marché des obligations souveraines allemandes, bien plus attractif. Ce n’est donc pas une quelconque interdiction récemment abrogée qui a conduit à l’arrêt de ce marché, mais plutôt un certain désintérêt pour le produit.

Jusque là, difficile donc d’y voir un lien direct avec la campagne électorale… Mais admettons qu’il y ait anguille sous roche. Quel pourrait être l’effet de l’ouverture du marché des contrats à terme sur la dette française ?

« Il est vrai que cela pourrait augmenter sensiblement la volatilité du marché » analyse un financier interrogé, qui nuance tout de même: « mais cela ne devrait pas avoir plus de conséquences que cela« .

Pour preuve ? L’exemple italien.

Si l’on regarde la dette italienne, où Eurex propose déjà des contrats futures depuis 2009 et 2011 (selon la durée des obligations), on remarque que le volume d’échange est actuellement très limité. Certes, ces produits sont assez largement utilisés sur le marché des bunds allemands, mais le volume du marché italien, lui, est environ 25 fois inférieur. « Si les futures étaient l’arme idéale pour attaquer un pays, nous en aurions entendu parler en Italie » estime le trader spécialisé sur les marchés de dérivés.

La vrai arme fatale : les options

Selon lui, les futures ne sont pas l’outil idéal pour spéculer :

Les futures sont très utilisés pour se couvrir d’un risque, moins pour spéculer à la baisse. Pour cela, les options sont plus intéressantes car moins couteuses, plus flexibles, et potentiellement plus rentables.

A la différence des ‘futures’ (contrats à terme), les options sont des produits qui permettent d’acquérir le droit (et non l’obligation) d’acheter un certain actif à une certain prix, jusqu’à une certaine échéance. De plus, les contrats à terme impliquent de bloquer un dépôt de garantie auprès d’une chambre de compensation. Ce dépôt est ajusté tous les jours en fonction de la valeur de marché de l’actif sous-jacent, ce qui implique donc de mobiliser du cash avec une certaine incertitude de trésorerie. De leur coté, les options, ne sont que légèrement commissionnées, et permettent donc des effets de levier plus conséquents.

Et le trader de conclure :

Si je voulais spéculer à la baisse sur la dette française, plus que des contrats à terme, j’utiliserais certainement des options . Ça, c’est vraiment l’arme ultime.

Mais jusque là, il n’est pas question pour Eurex de proposer ce type de produits. Seuls les contrats à termes sont concernés.

Alors, pourquoi relancer un marché sur ce créneau ? Une question de mode, selon notre ami trader :

Actuellement, la mode est à coter tout ce qui existe et qui puisse avoir un intérêt quelconque pour la clientèle. Eurex est juste dans la parfaite ligne de ce qui se fait de nos jours. Avant, beaucoup de transactions se passaient de gré à gré afin d’éviter toute standardisation et compensation. La mode est aujourd’hui à l’inverse : on trouve plein de trucs bizarre cotés sur les marchés. Mais avec de faibles volumes.

Un autre financier ajoute :

Les « market makers » ne sont pas stupides. Quand ils créent un produit, c’est qu’ils pensent que les particuliers vont intervenir massivement dessus, et donc être les grands perdants de la bataille.

Peut être bien que Sarkozy est près à tout pour gagner l’élection. Mais cette arme là, si c’en est une, n’est certainement pas la plus terrible de son arsenal…


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