Pour un retour de la « finance utile »
J’ai eu l’occasion d’assister à l’Université de la Terre à une conférence dont le sujet était : « La nouvelle finance au service de la nouvelle société ». Un thème qui m’intéresse particulièrement, vous vous en doutez, et dont l’idée d’en faire un compte rendu critique ne m’a pas échappée.
L’introduction avait bien replacé l’audience dans le contexte actuel, à savoir que la crise financière n’est PAS terminée, que la crise des dettes privées s’est désormais transformée en crise des dettes publiques par la nationalisation des dettes engendrées par la finance folle. Et comme si cela ne suffisait pas, Jacques Généreux renchérit avec un tonitruant :
Ce n’est pas la finance qui a imposé ce modèle de société, ce sont les politiques
Ce genre de phrase me plait, twittais-je tout haut 🙂 mais je suis pourtant resté sur ma faim.
La finance au service de la société, ça existe
Les intervenants, Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif, Jean-Christophe Capelli, fondateur de FriendsClear, Claude Alphandéry, ancien résistant et président d’honneur de France Active, et Jacques Généreux, économiste formèrent un panel a priori assez représentatif de ce que pourrait être l’avenir de la « finance utile ».
Nous avons ainsi eu droit à une présentation de l’œuvre de France Active auprès des entrepreneurs, des personnes en incapacité d’autonomie, ou tout autres projets qui valent le coup (notamment les SCOP). France Active permet à ce type de public de bénéficier de services bancaires dont ils sont exclus par les autres banques, ou de prêts à taux modérés de 5%, par une démarche éthique. Comment ne pas vouloir féliciter les personnes derrière ce projet ?
Puis, Jean-Christophe Capelli a défendu sa startup, FriendsClear dont la plateforme internet permet de profiter de l’intelligence collective du réseau pour aider aux financement de projets au moyen de prêts « en P2P ». Le site est une vraie alternatives aux banques, notamment pour les porteurs de projets atypiques, ces derniers sont traditionnellement refusés par les banques, qui connaissent mal le risque de ce type d’activités et ont peu le temps de se pencher sur les petits dossiers en général. On attendait le « social lending » depuis longtemps (cela existe depuis 2005-6 aux US ou au Royaume-Uni), le voilà qui débarque en France ! Comment ne pas se réjouir ?
Puis, vient le tour de Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif, en mode conquérant devant un public conquis, dont les saillies verbales n’ont pas manqué d’enthousiasmer la salle. « Nous sommes la banque à zéro paradis fiscaux » se réjouit-il s’en s’empêcher de balancer quelques piques contre les spéculateurs « qui font tout ce qu’ils veulent », de critiquer le fait que les politiques n’ont pas abattu la finance comme on fait des chevaux malades, avant de finir en fanfare sur un magistral « Le crédit coopératif n’est pas dans une niche, c’est une arche de Noé ». Il faut dire que Monsieur Bancel a de quoi se réjouir : les souscriptions ont explosé depuis l’affaire Cantona… Encore une fois : comment ne pas s’en satisfaire ?
Mais cet intéressant tour de table achevé, vient le moment où il faut répondre aux questions, et surtout, proposer des propositions d’améliorations. C’est précisément là que l’exercice se complique… Et si je ne saurais pas redire exactement qui a dit quoi (j’étais très mal placé pour voir les intervenants) ni dans quel ordre, une chose est sûre : j’ai franchement entendu des âneries. Et surtout, je n’ai pas entendu ce que j’aurais aimé entendre. Je suis jeune, con, et exigeant, pardon d’avance :).
Renationaliser la dette ?
Commençons par l’un des intervenants qui affirme qu’il faut « renationaliser » la dette de la France (emprunter aux citoyens du pays), en citant l’exemple extraordinaire du Japon, qui, avec 200% d’endettement /PIB, n’a pas de problème pour s’endetter sur les marchés. « Génial ! Faisons donc comme le Japon » croit-on entendre. Sauf qu’il n’y a bien sur personne dans la salle pour rappeler que le Japon connait la déflation depuis 10 ans, et que la Banque Centrale du japon est contrainte d’user de la planche à billet pour relancer en permanence son économie (ainsi que celle des autres pour soutenir son carnet de clients).
Et puis surtout, ne parlons pas de l’effet d’éviction, concept très basique en économie que toute personne qui a fait un bac ES a du entendre parler. L’effet d’éviction, ça veut juste dire que le sur-endettement d’un état est nocif car il aspire les capacités d’investissement du secteur privé. Or, ce phénomène serait bien évidemment accru si nous commencions à renationaliser la dette, comme le propose M. Généreux.
La « régulation », terme fourre-tout toujours aussi efficace
Puis, on a entendu parler de régulation. Et alors là, c’est l’extase ! Les slogans du type « des marchés non régulés sont voués à leur propre perte » sont scandés, au plus grand plaisir de l’auditoire qui en redemande. Mais malheureusement la régulation fait partie de ces mots « tarte à la crème » qui passent bien auprès du public, mais ne sont jamais définis précisément. On nous dit qu’il faut interdire certains flux financiers et pas d’autres. Mais sous quels critères ? Personnellement je prends peur : sous prétexte dé régulation, ne serions-nous pas en train de mettre en œuvre un vaste outil de contrôle au service d’une dictature de la morale d’état ? Je m’explique : le problème est-il que l’argent circule en soi, ou que les risques pris par les investisseurs ne sont pas assumés par ces derniers ?
Puis viennent quelques diatribes contre l’inaction générale des politiques en général, qui ne font rien pour stopper l’anarchie spéculatrice. Difficile de les contredire, mais en même temps, le pouvoir est-il vraiment dans leurs mains ? Les intervenants le pensent apparemment. Pourtant l’actualité montre bien l’inverse, car c’est bien le parlement européen a adopté il y a quelques semaines le principe d’une taxation sur les transactions financières, c’est à dire bien plus que ce qu’aucun personnage politique national n’a obtenu depuis des décennies.
Je suis le premier à prétendre que les politiques sont à coté de la plaque, mais pour le coup, s’il suffisait de volonté politique, cela ferait longtemps que nous l’aurions, cette fameuse « régulation » financière (attendue d’ailleurs par de nombreux électeurs)… Sauf qu’il faut reconnaitre que ce n’est pas si simple : la finance étant mondialisée comme le reste, il faut au grand minimum une régulation européenne, et pour être un peu plus réaliste, un accord au niveau du G20 et de l’OMC. Sauf que bien sur, il y a toujours un passager clandestin dans la troupe pour ne pas faire comme les autres : en Europe, c’est Londres (pour longtemps ?). A l’échelle de la planète, ce sont bien sûr les paradis fiscaux, véritables bases arrières de la finance opaque.
Nous sommes tous des spéculateurs
La vérité, c’est que la spéculation ne cessera pas sous l’effet d’une quelconque régulation. On ne force pas les gens de changer leurs habitudes d’un claquement de doigts. Si la finance spéculative existe, et avec une telle ampleur, c’est qu’elle a une raison d’être. Et cette raison d’être, elle est entre chacun d’entre nous : dans notre désir de gagner plus, de faire fructifier nos avoirs. Un des intervenants l’a d’ailleurs bien noté : « on ne peut pas reprocher aux spéculateurs de grapiller 5% partout où ils peuvent si nous-mêmes, nous demandons un taux de rendement de 15% à notre épargne », mais il n’est pas allé au bout de la réflexion.
Notre civilisation tout entière est basée sur un modèle d’endettement massif. C’est le seul moyen que nous avons trouvé de perpétuer la croissance perdue dans les années 70. D’ailleurs, comme le montre bien cet article, il est probable que les nouvelles règlementations bancaires vont provoquer une nouvelle crise : car diminuant les risques pris par les banques avec leurs effets de leviers, on diminue aussi les capacités d’émission de crédits, et donc la croissance…
Ne sommes nous pas tous coupables des crises financières ? Nos cotisations, nos PEA, PEL, et assurances-vies ne servent-elles pas à alimenter des fonds d’investissements gérés, en bout de chaîne, par des traders ? Notre niveau de vie n’est-il pas hypothéqué par notre crédit logement, ou pire, nos crédits à la consommation ? On peut le regretter, mais difficilement reprocher aux seuls spéculateurs cette tendance de la société que nous cautionnons tous les jours. Comme j’ai coutume de dire : la spéculation ne cessera que lorsque les investisseurs auront mieux à faire de leur argent.
Certains lecteurs doivent maintenant se dire que je ne suis qu’un fataliste désabusé. Ce n’est pourtant pas le cas. Je suis juste en train de dire que se focaliser sur la lutte contre les méchants spéculateurs ne sert à rien. Le problème n’est pas là. Il est bien en amont dans le système.
L’origine du problème : la monnaie
A un moment, un des intervenants, interrogés sur la question de l’Islande, a répondu qu’il fallait, évidemment, choisir de restructurer les dettes des états, et ainsi de faire défaut sur la dette « illégitime ». Mais où est-elle, cette dette illégitime ? Sur quel critère la juger ?
J’ai bien cru désespérer que personne ne donne d’indice à ce monsieur,mais heureusement une personne dans la salle, Yves Michel (oui, l’éditeur), a fait la très juste remarque que les banques commerciales disposaient d’un monopole sur la création monétaire, et qu’il semblait aller de bon sens que ce rôle là revienne à l’État. Applaudissements nourris mais dispersés dans la salle : seuls les connaisseurs auront compris de quoi parlait ce monsieur…
Et la réponse nonchalante d’une personne du panel (probablement J. Généreux) : « Comment vous répondre, ce n’est pas vraiment une question ça, monsieur ». Et hop ! next.
C’est pourtant au cœur du système bancaire et monétaire que se joue la clé du problème. Parce que les banques sont à l’intersection de tous les tuyaux financiers, et sont surtout les seuls à accéder, depuis 1973, à la source de la monnaie (les crédits à 1% de la banque centrale), il est évident que le système est biaisé dès le départ. L’architecture de l’économie – la monnaie – est déstabilisée par la privatisation du rôle de gestion de la création monétaire aux banques commerciales privées. Je vous renvoie à un précédent post sur ce sujet : Pourquoi le système financier est un château de cartes.
La voilà, la dette dite « illégitime » ! Elle est dans les bilans des banques qui créent de la monnaie pour financer les états. Et pour mieux vous en persuader, voici un petit graphique de derrière les fagots, comme on dit :
Indignez-vous, qu’ils disaient ! (mais de quoi?)
Pour conclure, je dirais que même si toutes les initiatives présentées lors de cette conférence sont louables, en dépit de ce que pensent leurs fondateurs, elles sont vouées à demeurer des modèles économiques marginaux. Du moins tant que le système dans lequel elles évoluent n’est pas profondément repensé.
Faut-il vraiment s’étonner que les banques n’aient pas fait faillite en 2008 ? Que nous les ayons renflouées – par les propres fonds des banques ? Et que nous le fassions encore et toujours 3 ans après la crise, en Irlande par exemple ?
Tout ceci est normal, quand un pays ne ne contrôle pas sa monnaie.
Étonnez-vous, « indignez-vous » tant que vous voulez. Mais ne rejetez pas la faute sur la seule spéculation, qui n’est que la conséquence finale d’un système pourri à la racine. Indignez-vous de l’absurdité des états d’avoir confié la monnaie à leurs banques. Indignez vous que l’on ne sache créer de la croissance sans augmenter inexorablement la dette. Et surtout, indignez vous que la vaste majorité des politiques (sauf quelques uns) refusent de débattre de ce thème.
Donc tu partages le constat de Lordon quant au not so level playing field et au fait que ce soient les politiques qui ont abdiqué de la souveraineté monétaire des états. En 1973 pour commencer et avec les divers traités européens et surtout celui de Maastricht pour continuer.
Donc dans l’ordre des priorités, ne serait-il pas primordial de commencer par modifier les statuts de la BCE (sa « mission ») avant de détricoter petit à petit ces règles néfastes ? Ce qu’on a pu faire, on peut le défaire…
@Stan
Cela fait plaisir de te lire.
J’arrête là les compliments car je trouve le post confus.
Tous coupables!? Avant d’être des spéculateurs patentés (tout le monde n’a pas une épargne) nous sommes d’affreux consommateurs : L’Iphone 4G est-il une source de progrès pour l’humanité? Est-ce le prix du marché (ou la main invisible) qui fixe son prix à 629 €? Pour répondre à ta question « la spéculation ne cessera que lorsque les investisseurs auront mieux à faire de leur argent », il faudrait un changement de paradigme qui ne place plus place la production de richesse au statut de Dieu (ou de veau d’or).
Par ailleurs, je suggère l’idée d’un post sur les prêts perpétuels ou à taux zéro qui ont soutenu l’économie et la recherche dans les années 60 (je rejoins ici l’idée de finance utile).
Je veux bien me considérer comme spéculateur et concéder que je participe au système capitaliste. Cependant, au delà du remise en cause du système actuel, les chiffres de l’évasion fiscale me semblent être assez significatifs des problèmes que nous rencontrons sur le plan économique. D’un côté nous alimentons les pays du sud par un système de perfusion financière, ceux-ci perdent alors leur souveraineté et sont incapables d’accéder au crédit. De l’autre côté, nous laissons nos entreprises produire des richesses dans ces pays pour qu’ensuite elles planquent leurs bénéfices dans des paradis fiscaux afin de ne pas payer d’impôts dans les pays ou justement, elles créent cette richesse. Un phénomène d’ailleurs que nous subissons à l’échelle française quand on voit des usines américaines exploiter le gaz de schiste avec l’aide d’une niche fiscale.
Est ce que ce n’est pas ça le vrai problème actuellement ? ne faut’il pas régler ça avant de penser à un système alternatif ?
@Laetsgo : bien sur que je le rejoins sur ces points. Les règles du jeu sont pipées d’avance, et on voudrait juste coincer ceux qui en profitent tout en ne changeant surtout rien à ces injustes règles !!
Alors oui réformer la BCE est une urgence (c’est d’ailleurs ce que je disais ici : http://www.tetedequenelle.fr/2011/01/sortir-de-euro-une-mauvaise-reponse-bonnes-questions/ )
Néanmoins, politiquement cela sera très difficile d’attaquer frontalement le donjon du système. Peut être vaut-il mieux d’abord faire la preuve de systèmes alternatifs en parallèles (je pense notamment à la mise en place d’un revenu universel national).
Dans tous les cas, il y a de bonnes chances à terme que la crise de la dette remette en causes les dogmes monétaristes 🙂
@psimon : oui la consommation est un autre trait de caractère de la société qui nous rend tous coupables. Mais que changer dans la société pour la réduire ? Les désirs de l’Homme sont par nature illimités. Notre seul chance est de déporter nos désirs vers l’immatériel pour moins affecter notre environnement réel.
@copainsky : l’évasion fiscal est un autre chantier. Mais encore une fois, je pense que s’attaquer frontalement au problème ne sert pas à grand chose. L’évasion fiscale n’est qu’une conséquence de l’obésité de certaines entreprises, ces « too big to fail » à qui on fait toutes les courbettes sous prétexte de sauvegarde d’emploi. Pour moi, l’enjeu est avant tout de relocaliser l’économie par des initiatives locales qui par nature ne vont pas placer leur argent ailleurs.
Il faut identifier les problèmes à la racine, toujours !
@stan Je comprends ton point de vue, il faut dire que je suis pas mal engagé en tant que militant dans une campagne contre les paradis fiscaux. Du coup c’est un peu mon obsession en ce moment. Relocaliser l’économie, nous sommes bien d’accord, mais pour que ces initiatives soient payantes, il faut une population responsable certes, mais aussi éviter que des lobbys viennent écraser celles-ci.
Passer par une transparence fiscale au niveau international permettrait de mieux contrôler ces lobbys et marquerait une première étape vers une juste rétribution du travail, surtout pour les pays en développement qui payent en grande partie les pots cassés de ce système.
Il faut attaquer frontalement nos dirigeants pour qu’ils agissent, nous les nommons, à eux de protéger nos intérêts. Pour l’instant ils protègent surtout les multinationales et autres dictateurs corrompus…