L’Europe « solidaire » va-t-elle boire la tasse de l’amertume irlandaise ?
Les dirigeants des pays de la zone euro se réunissaient à Bruxelles le 11 mars dernier pour décider des suites à donner aux mécanismes d’aide au financement des états mises en œuvres pour la Grèce et l’Irlande. L’enjeu pour l’eurozone : trouver une solution pérenne à la crise de la dette souveraine que connaissent les états européens.
Le calendrier était serré : les Finlandais qui entrent en période électoral dès cette semaine ont annoncé d’office qu’ils ne prendraient aucuns engagements supplémentaires au delà de ce week-end. Du coup, les partenaires ne pouvaient se permettre d’attendre le prochain sommet du 24 et 25 Mars pour trouver un compromis. D’autant plus que les marchés s’étaient montré très tendus toute la semaine, les taux d’intérêt de la dette grecque et portugaise ayant de nouveau grimpé.
C’est dans ces conditions que le conseil de l’eurozone est parvenue à un accord renforçant la solidarité des pays de l’euro. Mais en refusant de traiter sérieusement de la question irlandaise, l’Europe témoigne de son aveuglement total et de son incapacité à identifier les véritables origines de cette crise.
Renforcement du mécanisme de stabilité
Les partenaires ont donc décidé de renforcer le mécanisme en place pour le sauvetage de L’Irlande en Novembre dernier. Le Fonds Européen pour la Stabilité Financière (FESF) ainsi que le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui succédera au FESF en 2013 se voient ainsi dotés d’une force de frappe effective de respectivement 440 et 500 milliards d’euros. Ceci en contreparties de garanties supplémentaires des états européens. De plus, le FESF / MES pourra acheter directement des bons du trésors des états de l’eurozone en contrepartie de plans d’austérité. En revanche, fait notable, la BCE ne pourra plus racheter des titres de dette sur les marchés secondaires.
Bref, même si le terme n’est pas évoqué directement, c’est bien de la mise en place des “eurobonds” dont il est question avec cet accord. L’eurozone met en place un endettement mutualisé au niveau européen par le FESF / MES permettant de financer dans un second temps les états en faisant la demande.
Théoriquement, les états peuvent toujours s’endetter indépendamment de ce mécanisme. Mais en empêchant à la BCE de racheter les titres de dette sur les marchés secondaires, les investisseurs vont très certainement rechigner à acheter les titres de dette souveraine indépendamment de toute garantie européenne. Ils mettront ainsi à nouveau d’autres pays dans la même situation que la Grèce il y a un an, en laissant les taux d’intérêts sur les bonds augmenter jusqu’à devenir insupportables et forcer les états à utiliser à leur tour la capacité d’endettement du FESF, afin de s’endetter à moindre coûts.
Le pacte pour l’euro : un nouveau nom pour de vieux accords
Par ailleurs, un compromis a également été atteint sur la question du “pacte de compétitivité” proposé par le couple franco-allemand. Le pacte, renommé cosmétiquement “pacte pour l’euro” , se fixe pour objectifs de favoriser la compétitivité, l’emploi, la viabilité des comptes publics et de renforcer la stabilité financière. On peut ainsi lire dans le communiqué du conseil (pdf) beaucoup de bonnes intentions telles que la convergence fiscale, la viabilité des systèmes de retraites, ou encore la taxation des transactions financières, principe également adopté au parlement européen dans la semaine.
Mais au fond, rien de bien nouveau : ce pacte ressemble de près à ce que disaient déjà critères de convergence de Maastricht, ainsi que la stratégie de Lisbonne. Ce nouveau texte n’est donc finalement qu’une nouvelle déclaration de principes en forme de piqure de rappels.
La Grèce respire, le Portugal retient son souffle
En définitive, le plus intéressant lors de ce sommet, fut la question de la situation de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande, premiers concernés par les mécanismes de stabilité renforcés lors de ce sommet.
La Grèce, récompensée pour ses efforts d’austerité, a obtenu un allongement de 3 à 7 ans et demi de la dette de 110 milliards d’euros contractée auprès de la BCE et du FMI, ainsi qu’un abaissement du taux de son emprunt. C’est un certain soulagement pour le pays en proie à une situation très difficile socialement, mais il devra néanmoins accélérer ses mesures d’austérités, et notamment honorer sa promesse de continuer les privatisations pour dégager 50 mililards d’euros. Rien n’est gagné.
De son côté, le Portgual, contrairement aux attentes de certains, a fait savoir qu’il ne ferait pas appel au FESF pour le moment, le ministre des finances portugais, Fernando Teixeira dos Santos, ayant réussi à adoucir la pression des ténors de l’euro en présentant de nouvelles mesures d’austérité.
L’Irlande dans l’impasse
Assez ironiquement, dans le même temps, le fraîchement élu premier ministre irlandais, Enda Kenny, demandait quant à lui une réduction du taux d’intérêt sans accepter d’augmenter sa fiscalité sur les entreprises. C’est niet pour Sarkozy, qui en fait une question de principe :
C’est un sujet très sensible pour nos amis irlandais, ce que je peux comprendre, mais en même temps, on fait valoir que lorsque l’on a la même monnaie, il est normal que l’on ait une convergence. Or cette convergence ne peut pas être dans tous domaines, à l’exception du domaine fiscal. (…) Personne ne demande à l’Irlande des taux comparables à l’Europe, mais qu’il est aussi difficile de demander aux autres pays d’aider l’Irlande et celle-ci de répondre qu’elle entendait garder le taux d’imposition sur les bénéfices le plus bas d’Europe. Et donc il y a une discussion. (propos issus de la conférence de presse à Bruxelles)
Une discussion qui se poursuivra donc lors du prochain sommet, le 24 et 25 Mars. Les ténors de l’Union y renouvelleront probablement leur proposition au premier ministre irlandais : faites un geste, nous en ferons un aussi.
Mais l’Irlande peut-elle se permettre de faire ne serait-ce qu’un geste ? Ce chantage est-il vraiment justifié économiquement et politiquement ?
Il faut rappeler que les deux partis au pouvoir en Irlande, le parti travailliste et le Fine Gael (de centre droit) ont été élus sur la promesse qu’ils renégocieraient le plan de sauvetage conclu sous l’ancien gouvernement. A moins de se discréditer d’office, ils se doivent donc honorer cet engagement.
D’autant que la situation économique, déjà catastrophique, empire de jours en jours dans l’indifférence totale des médias français.
Le secteur bancaire irlandais est victime depuis plusieurs mois d’une fuite des dépôts vers l’étranger. Au moins 100 milliards d’euros, soit près de la moitié de son PIB auraient quitté le pays, à tel point que la Banque Centrale d’Irlande avait du prêter en urgence 50 milliards d’euros fin Décembre dernier. Récemment, la situation s’est encore aggravée : les banques irlandaises étant incapables d’honorer les modifications des règles de garanties bancaires prévues depuis 2009, la Banque Centrale d’Irlande a du alourdir l’ardoise des banques de 20 milliards supplémentaires. Plus récemment encore, les stress-tests menés par gouvernement sur le secteur bancaire révèlent qu’il manquerait encore entre 15 à 25 milliards d’euros par rapport au plan de sauvetage qui est en train d’être déployé par le FESF. En clair : les banques irlandaises sont au bord de la faillite.
La situation semble d’autant plus désespérée qu’environ 100.000 personnes ont quitté le pays depuis 2 ans. 75.000 autres irlandais, notamment les jeunes, devraient les suivre en 2011, pour fuir le taux de chômage de 13,5%.
Dans ces circonstances, même si une hausse de l’impôt sur les sociétés irlandaises semble logique, il faut néanmoins comprendre que cela serait vécu comme un signal très négatif pour les irlandais. Un suicide, disent-même certains : si les entreprises quittent à leur tour le pays après les capitaux et les hommes, que restera-t-il à l’Irlande ? Les yeux pour pleurer ?
L’avenir de l’euro se joue en Irlande
Il est clair que le “gouvernement économique de l’Europe” que Sarkozy se félicitait d’avoir mis en place vendredi est en train de se faire au sacrifice de l’Irlande. Et c’est une grave erreur : l’Europe ne peut prétendre vouloir sauver la zone euro en refusant de s’intéresser au problème de l’Irlande plus sérieusement qu’en asservissant le pays à un plan d’austérité voué à l’échec.
Car, si la situation du pays continue de se dégrader, comme cela est probable, et que l’Europe n’est pas capable de proposer des solutions viables, la dernière alternative pour le pays pourrait bien être de quitter la monnaie unique et de dévaluer leur monnaie. Et le « plan » censé sauver la monnaie commune n’aura fait que précipiter sa chute…
En effet, outre le risque systémique lié à la faillite des banques irlandaises, et de défauts de l’état irlandais sur sa dette, une telle décision créerait un dangereux précédent. D’autres pays comme le Portugal ou l’Espagne seraient bien tentés de suivre la même voie, entraînant – cette fois ci de manière à peu près certaine – une réaction en chaîne fatale pour les banques européennes, qui sont également bien affaiblies dans d’autres pays de l’euro.
Contrairement à ce que Merkel et Sarkozy veulent nous faire croire, il faut bien comprendre que la situation de l’Irlande n’est en fait qu’un “concentré” des principaux problème que connaissent tous les autres pays de l’Europe : croissance faible, fragilité du secteur bancaire, déficits publiques chronique, et balances commerciales déséquilibrées. De fait, ce n’est donc pas parce que l’Irlande concentre tous ces problèmes qu’il faut la laisser de coté, mais au contraire précisément ce pourquoi nous devons lui trouver des solutions d’avenir. Faute de quoi nous connaîtrons le même sort qu’elle.
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illustrations : © Union Européenne ; CC William Murphy ; Rose Davies
C’est étonnant de voir à quel point l’euro et l’Europe sont liés dans nos esprits!
En sus de ces tensions, le rapatriement prévisible des avoirs japonais suite aux évènements tragiques qui se produisent vont continuer d’ébranler les marchés: on va voir la validité du stress test.
La vision fédéraliste avec la création d’eurobonds n’a de sens que si une autorité unique pour la zone euro (la BCE?) est émettrice de ces obligations (cf http://www.institutmontaigne.org/pour-un-eurobond-une-strategie-coordonnee-pour-sortir-de-la-crise-3151.html) . Cela sous entend une volonté politique commune franco-allemande qui est loin d’être d’évidente. Des eurobonds pour financer quoi (les grands travaux?)
En l’état, cela ne répond pas à la crise de solvabilité qui frappe la Grèce, l’Irlande, le Portugal.
Le cas irlandais (autrement appelé passager clandestin ou cheval de troie) est singulier du fait de son imposition sur les sociétés. Accepter cet état de fait revient à signer la mort du pacte de compétitivité (enfin on peut l’espérer).
Si l’éclatement de la zone euro devait intervenir, je parierai un petit billet sur l’Espagne (de par l’importance de son économie) même si l’Irlande est la premier candidat à la sortie.