La fin du plein-emploi
Les discussion politiques que l’on peut avoir avec ses amis s’éternisent parfois sans aucun intérêt car les participants ne fondent pas leurs argumentations respectives sur les mêmes hypothèses de travail. Ils ne peuvent pas se comprendre car restent buttés sur des propos qui leur semblent absurde plutôt que d’essayer de comprendre la cohérence d’un raisonnement tout entier.
J’ai donc l’intention de revenir prochainement sur plusieurs présupposés que j’estime faux et qui polluent le débat économique et politique.
Dans ce premier article, je vais essayer de refuter l’idée selon laquelle il faudrait absolument chercher à atteindre le plein emploi. En effet, les politiques de lutte contre le chômage ne sont que des tentatives inespérées de regagner ce qui n’existera plus jamais : le travail marchand pour tous.
Depuis près de 30 ans maintenant, tous les politiques font de leurs priorités la lutte contre le chômage. Les emplois aidés, les 35 heures, le CPE, la prime pour l’emploi… de gauche ou de droite, on aura eu droit à toutes sortes de mesures pro-emploi… toutes plus inefficaces les unes que les autres.
En effet, le chômage est toujours là, avec ses 9,7 % au dernier trimestre. Et encore, ce chiffre est le taux de chômage officiel. Car les économistes éclairés savent très bien que le chômage au sens élargi (qui comptabilise les radiés de pôle emploi), lui avoisine probablement les 15-20%. Nous sommes en plein chômage de masse.
Nous pouvons donc dès ce stade observer que le chômage est un problème structurel auquel nous répondons malheureusement par des mesures très souvent court-termistes. Mais passons pour le moment et étudions les raisons de ce chômage de masse.
Un marché du travail durablement déséquilibré
Tout d’abord, commençons par rappeler quelques données démographiques qui expliquent le déséquilibre du marché du travail.
En premier lieu, on ne peut nier l’impact du baby boom. En effet, cet accroissement démographique soudain a certes eu un premier impact positif durant les Trente Glorieuses en soutenant la consommation, mais lorsque l’arrivée de cette génération sur le marché de l’emploi a ensuite créé un déséquilibre structurel entre l’offre de main d’œuvre importante et une demande de travail stagnante.
C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on pousse actuellement nos seniors vers la porte de sortie de secours : les pré-retraites, espérant ainsi que les jeunes pourront remplacer plus vite les générations antérieures. Mais de nombreux économistes soutiennent que cela est une grave erreur car non seulement les entreprises ne remplacent pas systématiquement un employé qualifié et expérimenté par un jeune diplômé, mais aussi car on est en train de paupériser encore plus une population déjà très fortement touchée par le chômage.
Enfin, un autre facteur peu abordé : celui du travail des femmes qui est passé d’environ 50% en 1975 à 64% en 2005, ce qui a naturellement sensiblement augmenté l’offre de travail sur le marché.
Outre ce décalage quantitatif, le marché du travail est également déséquilibré qualitativement. Autrement dit : l‘offre de travail ne trouve pas la bonne demande.
D’une manière générale tout d’abord, Emmanuel Todd explique que les générations de l’après guerre ont bénéficié d’un accroissement du niveau global moyen d’éducation (le taux de sans diplôme est ainsi passé de 35% en 1965 à7,5% en 1990). Mais pour quels emplois qualifiés après ? Le problème est qu’il y a un véritable goulot d’étranglement sur ce type d’emplois, tandis que d’autres secteurs recrutent (les services à la personne, par exemple). Mais comment convaincre des diplômés bac+3 ou bac+5 de se lancer dans ces métiers ?
Enfin, il faut aussi noter qu’il y a une forte inadéquation des formations et des emplois. Comment expliquer par exemple qu’il y ait 65 000 étudiants en psychologie c’est à dire l’équivalent de 25% des étudiants européens dans cette matière ?! De même, comment justifier que les programmes des universités françaises soient si éloignés de la réalité des besoins des entreprises (favorisant peu les stages par exemple) ?
Le marché du travail est inefficient
En plus de ce problème d’inadéquation de l’offre et de la demande, on sait aussi que la rigidité du marché nuit à l’emploi.
Tout d’abord, du coté de l’offre de travail, on a une main d’œuvre peu mobile et flexible. On sait par exemple qu’en 2007, seulement 12 % des salariés l’étaient depuis moins d’un an (contre 25% par exemple au Danemark), ou encore que 90 % des emplois sont salariés.
Ce manque de mobilité s’explique en partie par la législation française du travail qui est très peu flexible et couteux pour l’entreprise. Ce n’est pas pour rien que le Danemark a un chômage plus faible qu’en France : son modèle de flexsécurité est fondé sur une législation plus agile, moins lourde et donc moins contraignante à la fois à l’embauche et au licenciement. Mais ce modèle doit s’accompagner de davantage de formation continue, et surtout de confiance entre les individus (ce qui n’est pas le cas en France).
La rigidité du marché du travail français est un fléau : elle augmente non seulement le cout de l’embauche mais aussi que le risque encouru par l’employeur, et donc la défiance entre les parties. Pour résumer : elle augmente les couts de transactions sur le marché, nuisant naturellement à l’efficience de celui-ci.
La croissance ne crée pas d’emploi
A de nombreux égards, notre législation ainsi que notre système d’éducation constituent des freins au plein emploi. Mais quand bien même nous aurions une législation flexible, nous ne saurions atteindre le plein emploi par la méthode classique de la croissance. En effet, les chiffres sont sans appel à ce sujet : la croissance de ces dernières années ne crée pas d’emploi ! Constatez plutot :
Les raisons de ce déphasage ? Gains de productivité et délocalisations…
Le progrès technique, tout d’abord, est certes créateur de nouvelles activités économiques comme l’a montré Schumpeter, mais l’emploi n’en bénéficie que si la croissance économique suit le même rythme que celui de la productivité. Or, cela n’est pas forcément le cas, notamment en raison d’un partage déséquilibré de la valeur ajoutée depuis les années 80.
L’autre raison, ce sont les délocalisations. Bien que moins importantes que l’on ne veut souvent nous le faire croire, (d’autres secteurs en tirent partie) il faut admettre que les délocalisations sont en partie responsables de la débâcle de notre industrie (ceci sans doute accéléré par les raisons précédentes). Cependant, il ne faut pas tomber dans la démagogie : ce n’est pas en s’accrochant tant bien que mal à nos industries à grand coups de subventions, que nous les empêcherons de fuir inexorablement vers les pays à faibles couts de main d’œuvre. Ce type d’aides sont en fait aussi couteuses et inefficaces que nuisibles à l’emploi (par effet d’éviction, les secteurs émergents sont eux, privés d’aides…).
L’impossible plein emploi…
Nous le voyons, les raisons expliquant le chômage sont à la fois démographiques, politiques, sociétales. Mais surtout, le chômage a des origines structurelles et incontrôlables politiquement. Peut-on en effet empêcher les évolutions démographiques, les avancées sociales, ou le progrès technique ?
Faudrait-il ainsi réduire le travail des femmes ? Ou alors faudrait-il baisser le niveau d’éducation afin d’adoucir les ambitions des jeunes ? Faut-il éjecter les seniors du marché quitte à les paupériser avec des pré-retraites minables ? Faudrait-il également interdire les délocalisations, retourner au protectionnisme, et ainsi se couper du monde ?
Les réponses des politiques ne sont certes heureusement pas (tout le temps) dans ce registre (on peut se poser la question pour le FN), mais elles n’en soit pas moins stériles. D’un coté, la gauche veut davantage protéger les salariés contre les licenciements, quitte à encourager l’élaboration de plans machiavélique destinés à réduire par tous les moyens imaginables la masse salariale. De l’autre coté, la droite classique dans une logique anti-libérale la plus totale (mais non moins intéressée), veut maintenir les emplois de nos vieilles industries, quitte à jeter par la fenêtre des milliards d’euros qui ne contraignent aucunes entreprises à délocaliser. Elle voudrait également flexibiliser le marché, mais elle s’embourbe dans des logiques de cas particuliers (par la multiplication des contrats de travail) et fait face à des partenaires sociaux complètement autistes sur ce sujet.
Changer le paradigme du travail
Face à ces approches dépassées et totalement improductives, je suggère une approche plus moderne : et si nous cessions de considérer le chômage comme un « problème » ? Et si nous acceptions humblement le fait qu’il n’y a tout simplement pas assez de travail pour tous ? Cette hypothèse de travail n’est d’ailleurs pas du tout infondée : l’Histoire du XXème siècle n’est-elle pas marquée par une baisse constante du temps de travail ?
Dès lors, plutôt que de chercher à retrouver le plein emploi par des politiques inefficaces, ne devrions-nous pas créer les conditions d’une société dans lequel travail a une importance moindre ? Le plein emploi doit-il être une fin en soi ? Ne devrions-nous pas raisonner en terme d’activité, plutôt qu’en terme d’emploi ?
J’ai mon petit avis sur la question 😉 … et vous ?
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Crédit image CC julien
A lire ailleurs :
Faut-il partager le temps de travail pour résoudre le chômage de masse ? – Reversus
Mythes autour de l’emploi : croissance, démographie et salaires – ActuChomage
Euh, ouais, ok pour la conclusion, en même temps, diminuer le temps de travail, ca pourrait être une très bonne idée aussi, surtout, parce que mine de rien c’est complètement stupide de vivre dans une société ou y’en a qu’ont trop de boulot tandis que d’autres chôment forcés (et aussi, chômer c’est souvent pas avoir de ressources, donc faut penser au revenu minimum d’existence universel). Pi le progrès technique c’est bien, mais sérieux, si ca permet de bosser moins, non? si c’est juste pour que en haut ils s’engraissent plus, qu’en bas ca bosse toujours autant mais a moins de personnes…ben quelque part c’est vachement ballot, on a pas bien compris le principe quoi
bye
baisse du temps de travail + revenu universel : on est bien sur la même longueur d’onde 😉
Pour info, j’ai déjà abordé le revenu universel dans plusieurs posts 😉
cool 😉
Eh, ouais, le film sur le revenu de base, il est vraiment bien hein, sans dec, bons arguments et tout (juste la fin un peu pompante, m’enfin)
Une autre approche qui me semble plus adaptée : c’est le concept d’emploi qui est dépassé.
« emploi » signifie travailler pour une structure qui paye l’employé.
Economie signifie zone où l’on produit et on échange biens et services, le plus souvent à l’aide d’un intermédiaire universel nommé « monnaie ».
Il n’y a donc « d’emploi » que quand il y a des productions nécessitant un groupement d’individus produisant ensemble des produits complexes, au sein d’une structure qui paye.
Le problème de cette définition est donc non pas l’économie, mais la notion de structure.
Si j’ai des individus qui produisent et échanges leurs productions individuelles de biens et de services, le plus souvent en échange direct, et le cas échéant en monnaie, j’ai bien toujours une économie en croissance de biens et de services produits et échangés, sans pour autant avoir « d’emploi ».
Le concept d’emploi est un concept issu du XIXème siècle et l’explosion de productions massives de toujours plus de la même chose (textiles, moyens de locomotion…), où 1 structure productive contrôlée par 1 patron organisait le travail de 10 000 salariés.
En 2010 1000 individus sont à même de travailler en échanges directs, sans aucun besoin de patron, pour produire biens et services individuels ou communs, sans besoin d’autre structure qu’un compte en banque individuel. L’exemple des blogs, ou des projets Open Source en sont des exemples.
Or la monnaie pyramidale était adaptée à 1 patron pour 10 000 employés, comme le Minitel était adapté à quelques services pour des millions d’utilisateurs.
Mais pour s’adapter à des millions de producteurs libres et indépendants, ne nécessitant d’aucun « emploi » pour échanger leurs productions, il est nécessaire de passer à une monnaie de type symétrique = le Dividende Universel.
@galuel : absolument !
je ne l’ai pas trop abordé dans ce billet car c’est tout simplement l’objet d’un prochain article sur lequel je réfléchis depuis quelques temps déjà… fin du salariat tout ça…
celui-ci n’est qu’une introduction 🙂
Entièrement d’accords avec vous ! L’exploitation de la main d’oeuvre est la clé du succès pour le chef d’entreprise …
Petit rappel d’histoire :
Antiquité : les prises de guerres et l’esclavage qui en découle permets aux puissants de créer de la richesse à moindre frais
Moyen age : système féodal, le roi et les seigneurs (le vrai patron) usent de leurs pouvoirs (autoproclamés) pour prélever directement nourritures et impots sur le peuple (le vilain). Même si l’esclave n’a pas totalement disparu, il s’est assoupli et transformé en asservissement (le serf). Meme si le commerce en deviens interdit, le Roi et les seigneurs disposent d’une main d’oeuvre gratuite.
Renaissance : Les colonies espagnoles en Amérique du sud relancent l’esclavage en europe. Francais, Anglais, Portugais, Pays du nord participent et usent de cette main d’oeuvre gratuite pour se développer économiquement. Cela durera jusqu’au 19eme siècle …. Période transitoire avec la naissance, pratiquement à la même époque de la Banque d’Angleterre (1694). Toutes les banques qui suivrons s’inspirerons des bases : création monétaire scripturale et vampirisation économique par l’usure et les mécanises de l’hypothèque. L’esclavage moderne est né.
Une nouvelle économie de marché est lancée. Des hommes au service de quelques hommes.
Ces travailleurs modernes sont également les consommateurs des produits et du travaille qu’ils fournissent. Le système est bien huilé, il suffit de faire travailler plus, de payer moins pour augmenter les gains. Le patron d’aujourd’hui l’a bien compris, sinon il délocalise.
Les banques ont également souhaité élargir leur pouvoir. La dernière étape était d’imposer cette mécanique aux états …. rendre les états esclaves du système bancaire par le biais de la dette. l’art 104 de Maastrich répond partiellement à cette problématique. La BCE n’as pas le droit de prêter aux états membres ; ceux-ci doivent emprunter auprès des banques privées. Et voila, le tour de passe passe est génial ! …. sauf qu’aujourd’hui, les peuples n’y ont vu que du feu et on nous demande de mettre la main à la poche sur plusieurs générations. Je pense comme Yan, le plein emploi ne reviendra que lorsque l’on aura neutralisé ce système féodal !