Le nationalisme pris dans les filets de l’internet sans frontière
Je rebondis à chaud sur un article de Vogelsong qui se demande Pourquoi il devrait être fier d’être français. Un article intéressant qui dresse un constat d’étonnement assez limpide. Pourquoi tant d’énergie déployée pour promouvoir une nation que je n’ai pas choisie ? Et si toute cette parade n’était qu’un miroir aux alouettes destiné à masquer la réalité du système ?
Je souscrit à cette analyse : la nation est le creuset du capitalisme. Elle lui est en effet très utile car elle permet d’assurer la cohésion sociale contre les vents et marées de l’Histoire. Le nationalisme permet d’amadouer massivement les citoyens d’un effluve d’égo de telle sorte que la tentation éventuelle pour l’incivisme est amenuisée. De même que le développement des classes moyennes a permis d’apaiser la tension sociale et de développer le consumérisme, le capitalisme se nourrit de nationalisme comme tranquillisant social. L’élite peut dormir tranquille, les citoyens sont fiers d’être à leur place pour participer au projet national de conquête économique du monde.
Mais à l’heure où internet détruit progressivement les frontières artificielles que les nations se sont dressées entre-elles, le concept de nation est-il vraiment soluble dans la nouvelle ère numérique qui s’annonce ?
Mon pari est qu’internet est discrètement en train de tuer le nationalisme. Voici les raisons de sa mort prochaine.
La diabolisation du monde extérieur n’est plus possible
La nation se définit certes par un ensemble de traits culturels, de manière positive donc, mais aussi par différence aux autres nations. Elle fonde donc son utilité dans la diabolisation du monde extérieur. La recherche d’un ennemi commun à un ensemble d’individus différents a toujours été un stratégie classique pour assurer l’ordre au sein d’un groupe social.
Aujourd’hui la diabolisation du monde extérieur n’est plus possible. Avec internet nous sommes en mesure de voir la réalité à travers d’autres prismes que les images d’Epinal et la propagande des médias tricolores. La nationalité d’un interlocuteur sur internet importe peu à partir du moment où la barrière de la langue est dépassée (ce qui sera de plus en plus facile de faire avec les logiciels de traduction).
Mais pire encore pour le nationalisme, j’ai l’impression que le monde étranger devient sexy. J’avoue passer des heures à regarder des photos de paysages scandinaves ou d’Amérique du Sud, à lire des pages wikipédia à la pelle juste pour assouvir ma soif de curiosité. Je suis couchsurfer occasionnel et je lis parfois le New York Times plutôt que les médias français.
La nation est elle pérenne quand les citoyens n’aspirent qu’à découvrir le monde extérieur ?
La trahison des communautés en ligne
Il faut néanmoins reconnaitre à la nation un de ses mérites : elle répond à un désir de l’Homme d’appartenir à une communauté. Le sentiment d’appartenance fait même partie des « besoins sociaux » idéntifiée par la pyramide de Maslow. La communauté France est à ce titre utile dans une certaine mesure.
Mais aujourd’hui, internet me permet d’intégrer des communautés autrement plus pertinentes et intéressantes pour moi que la communauté France. Je peux avoir des échanges bien plus fructueux avec des communautés plus ciblées que la vaste et nébuleuse « communauté France ». Ce qui se passe au niveau des associations, des groupes d’intérêts locaux, se retrouve donc renforcé sur internet.
Internet, c’est avant tout l’explosion des liens multilatéraux, ad-hoc, plutot que les liens de type one to many tel qu’un lien de nationalité. De fait, des millions de communautés entrent en concurrence avec la communauté France, qui se trouvera bientôt délaissée par ses membres en termes d’attention et d’engagement au profit de subcultures issues d’internet. Une espèce trahison décomplexée de l’individu envers la nation.
L’impuissance numérique de la Nation
La perte de l’importance de la nation aux yeux des citoyens sera d’autant plus forte que, nous le voyons bien, elle se trouve de plus en plus impuissante face à la mondialisation des infrastructures de communication.
Le gouvernement a beau tenter le diable pour règlementer internet, il n’y parviendra probablement jamais pour la seule et simple raison que, contrairement à ce qui définit la souveraineté une nation – le territoire – internet ne connait pas de frontières.
Ce nouvelle espace favorise ainsi l’émergence de nouvelles formes de cybercriminalité qui se développent au nez et à la barbe de toutes les institutions judiciaires et policières totalement impuissantes dans ce nouvel espace. Comment dès lors faire respecter une Nation elle-même incapable de faire appliquer ses lois ?
Face à ce nouveau contexte, l’Etat-nation a le choix : s’effacer progressivement pour n’en garder qu’une douce nostalgie, ou bien forcer sa légitimité au risque de rencontrer un discrédit fatal.
Conclusion
L’article de Vogelsong me refait beaucoup penser la thèse exprimée dans Les Netocrates par Alexander Bard et Jan Soderqvist dont voici un extrait (et qui semble donc se confirmer) :
Pour les nétocrates, l’Etat-Nation et ses frontières apparaissent comme un motif irrationel mais éphemère d’irritation, entravant la fluidité du trafic dans le village global. Les vestiges du nationalisme sont, aux yeux des netocrates, une maladie honteuse que l’on aurait du éradiquer depuis longtemps, une sorte de handicap mentale de la vieille classe dominante dans son état d’impotence et de décadence.
Alors bien sur, on me rétorquera que les nationalismes sont aujourd’hui en recrudescence. Et il est vrai que certaines signaux nationalistes sont particulièrement visibles en Europe (notamment en Angleterre, en France et en Italie). Mais ne nous trompons pas : ce ne sont que des contres-tendances réactionnaires (très visibles, certes) face à une imparable mais discrète chute du nationalisme. Les convulsions d’un corps nostalgique en rebellion contre sa mort imminente.
— — —
A lire ailleurs :
La pensée sans frontière issue du web remet en cause la notion d’Etat-nation – Chouing Media