Nous sommes tous propriétaires de la richesse commune, demandons notre part !

Comme dans le capitalisme, payons un dividende aux actionnaires. Mais cette fois-ci, les actionnaires ne seraient pas les propriétaires de richesses privées, mais les propriétaires d’une richesse commune : Nous.

Un texte de Peter Barnes paru initialement sur Alternet.org et traduit avec l’aide de généreux contributeurs. Un grand merci à eux !

Avoir un matelas de sécurité financière est une chose formidable. Cela permet de subvenir aux besoins de base, d’épargner pour les périodes de mauvais temps ou de profiter du bonheur quand le soleil est au beau fixe. Il encourage les gens à prendre des risques entrepreneuriaux, à prendre soin de leurs amis, ou bien à faire du bénévolat au service de la communauté.

A l’inverse, l’absence d’un revenu sûr est une chose terrible. Cela accroît l’anxiété et la peur et diminue notre capacité à faire face aux crises et aux transitions. Cette situation piège de nombreuses familles au bord de la pauvreté, et rend plus difficile l’élévation sociale et économique des plus pauvres.

De nombreuses discussions ont eu lieu récemment sur la manière de sauver la classe moyenne américaine déclinante. La réponse des politiciens des principaux partis est toujours la même : des emplois, des emplois, des emplois. Les partis diffèrent sur la manière de créer ces emplois – les républicains disent que le marché les créera si on baisse les impôts et si on dérégule ; de leur coté, les démocrates pensent que le gouvernement peut aider en investissant dans les infrastructures et l’éducation – Mais quoi qu’il en soit le problème est toujours centré autour d’emplois avec salaires décents et bénéfices.

On peut comprendre que les politiciens tiennent ce discours : ce fut l’expérience américaine. Les années suivant la Seconde Guerre Mondiale, nous avons construit une classe moyenne solide fondé sur des revenus élevés, particulièrement des emplois syndiqués dans le secteur industriel. Mais c’est maintenant de l’Histoire ancienne. Aujourd’hui, l’automatisation et l’informatique ont supprimé des millions emplois, et les syndicats du privé ont été écrasés. De plus, dans une économie mondialisée où le capital peut acheter le travail moins cher n’importe où, il n’est plus crédible de croire que la classe moyenne américaine puisse prospérer par les seuls revenus du travail.

Alors pourquoi ne payons-nous pas à tout le monde un revenu non tiré du travail – vous savez, le genre d’argent qui va disproportionnellement chez les riches ? Je ne vous parle pas de redistribution, je vous parle de distribuer un dividende à des actionnaires, comme dans le bon vieux capitalisme. Sauf que dans le cas présent, les actionnaires ne sont pas des propriétaires privés, ce sont les propriétaires d’une richesse commune. C’est à dire vous et moi, tout le monde quoi.

Le cas de l’Alaska

Un État, l’Alaska, fait déjà cela. L’Alaska Permanent Fund (Fond Permanent de l’Alaska) utilise les recettes tirées des concessions pétrolières d’État pour les investir sur les marchés en actions, obligations et autres actifs similaires et verse les dividendes de ces portefeuilles à tous les citoyens.

Depuis 1980, ces dividendes se situent entre 1000 et 2000 dollars par année et par personne, enfants compris (ce qui signifie jusqu’à 8000 $ par année pour un ménage de quatre personnes). Et ce n’est pas un hasard si l’Alaska a le troisième plus haut revenu médian et se situe au deuxième rang des États où l’inégalité de revenu est la plus faible.

Le modèle de l’Alaska peut être étendu à n’importe quel État (région) ou nation, qu’ils aient du pétrole ou pas. Imaginez un Fond Permanent Américain qui payerait des dividendes à tous les citoyens américains : une personne, une part.

Une source majeure de revenus pourrait provenir de l’air pur, le don de mère nature à nous tous. Jusque maintenant, les pollueurs ont pu librement relâcher des quantités toujours croissantes de saletés dans notre atmosphère, créant des maladies, des pluies acides et un changement climatique. Mais que se passerait-il si nous exigions des pollueurs d’enchérir et de payer pour obtenir des permis de polluer notre air, et avec un nombre de permis diminuant chaque année ? La pollution pourrait décroître, et de ce fait, les coûts de ces permis de polluer augmenteraient. Moins de pollution créerait plus de revenus. Au fil du temps, des milliards de dollars seraient collectés et redistribués sous forme de dividendes.

Et ce n’est pas la seule ressource commune qu’un Fond Permanent Américain pourrait ponctionner. Songez à la contribution substantielle que la société apporte sur des valeurs boursières publiquement échangées. Quand une entreprise comme Facebook ou Google s’introduit en bourse, sa valeur augmente radicalement. La plus-value vient de l’augmentation massive du nombre d’investisseurs faisant confiance aux résultats financiers d’une entreprise dont les données sont publiques (classées trimestriellement avec la Securities and Exchange Commission) et acheter ou vendre ses parts est possible en un clic de souris. Cette « prime de liquidité », comme l’appellent les experts, n’est pas générée par l’entreprise, mais par la société.

Mais quant bien même cette richesse provient de la société dans son ensemble, elle ne va aujourd’hui que vers un petit nombre d’Américains. Pourtant, si nous le voulions, nous pourrions la diffuser plus largement. On pourrait par exemple faire payer les entreprises désireuses d’accéder à cette liquidité supplémentaire que la société fournit en exigeant qu’elles déposent 1% de leur parts dans le Fond Permanent Américain pour 10 ans, jusqu’à un total de 10%. Ce serait un prix modeste, non pas seulement pour bénéficier des liquidités publiques mais aussi pour l’accès à d’autres privilèges (la responsabilité limitée, vie perpétuelle, protections constitutionnelles) que nous accordons actuellement gratuitement aux entreprises. Avec le temps, le Fond Permanent Américain aurait un portefeuille diversifié valant des milliards de dollars. Comme le marché boursier grimpe et retombe, les dividendes de tous feraient de même. Mais la marée montante mettrait vraiment tous les bateaux à flot, même les plus petits.

« S’ils devaient nous payer, nous serions tous un peu plus riche »

D’autres sources potentielles de revenu pourraient contribuer aux dividendes du capital commun. Par exemple, nous confions des ondes de radio libres aux entreprises de média, ainsi que des droits d’auteurs presque perpétuels (et mondiaux) à des entreprises de divertissement ou des éditeurs de logiciels. Ces cadeaux gratuits valent beaucoup d’argent. Si leurs bénéficiaires devaient nous payer, nous serions tous un peu plus riches.

Les banques sont d’autre grands bénéficiaires de nos largesses collectives. Je ne parle pas de leurs renflouements par les deniers publiques, mais du pouvoir immense que nous confions aux banque de créer de la monnaie à partir de rien. Les banques le font (avec notre généreuse permission) en prêtant jusqu’à sept fois le dépôt des clients (on appelle cela le “système de réserves fractionnaires”) ; sans oublier qu’ils ajoutent des intérêts sur ces dollars créés comme par magie.

Ce cadeau aux banques est justifié sur le motif qu’elles injectent l’argent nécessaire à l’économie, mais un stimulus comparable pourrait être réalisé en donnant aux gens des dollars émis par le gouvernement — par exemple, en virant de la monnaie sur leurs comptes bancaires — tout en limitant les banques à ne prêter que l’argent qu’elles ont en dépôts. L’argent frais alimenterait alors l’économie via les ménages plutôt qu’à travers les circuits bancaires.

« Il n’y a aucune honte à toucher ce dividende »

Même sans tenir compte des sources de revenu, la mécanique d’un Fonds Permanent Américain serait simple. Chaque citoyen ayant un numéro de Sécurité Sociale valide serait éligible pour ouvrir un compte dans une banque ou une société financière ; les dividendes seraient versés mensuellement. Il n’y aurait aucun contrôle des ressources de chacun – et donc aucune honte à toucher un tel revenu, contrairement aux allocations chômage. Il n’y aurait pas non plus le moindre soupçon de lutte de classe – Bill Gates recevrait son dividende comme tout le monde. Et puisque le revenu viendrait de la richesse commune, il n’y aurait pas besoin d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses. Il nous suffirait de facturer l’usage privé de la richesse commune et de diriger les revenus résultants vers un système de distribution électronique.

Quel serait le montant de ces dividendes ? Il pourrait varier d’une année à l’autre, exactement comme les dividendes versés par les entreprises. Mais le système doit être conçu de manière à s’ajouter aux revenus du travail, non à les remplacer. Une bonne idée à ce sujet est la règle de Warren Buffet pour transmettre de l’argent aux enfants : “Il faut leur donner assez pour faire ce qu’ils souhaitent, mais pas assez pour qu’ils ne fassent rien.” Nous pouvons aussi garder à l’esprit que plus le dividende sera élevé, plus la classe moyenne sera forte, et plus l’écart entre les 1% les plus riches et le reste de la population sera faible.

« Les Etats-Unis ne sont pas fauchés »

Contrairement à ce que certains républicains affirment, les États-Unis ne sont pas fauchés. Nous sommes un pays riche et productif. Le problème vient du fait que la richesse et certains gains circulent de façon disproportionnée au profit des riches sous forme de dividendes : gains en capital, loyers et intérêts. Les simples offres d’emploi à elles seules ne suffiront pas maintenir le niveau de vie des “classe moyenne”. Nous avons besoin de compléter nos salaires avec un revenu de base qui profite à chacun de nous. Cela ferait vraiment de nous une société de propriétaires.


Peter Barnes – entrepreneur Américain ayant co-fondé Working Assets (société de communications longues distances) et une entreprise d’exploitation de l’énergie solaire – est le co-fondateur de On the Commons. Il est l’auteur de Capitalism 3.0: A Guide to Reclaiming the Commons (Capitalisme 3.0 : Un guide pour la reconquêtes des biens communs) et de Climate Solutions: A Citizens Guide (Solutions climatiques : un guide du citoyen). Son livre paru en 2001, Who Owns the Sky? (Qui possède les cieux ?) présente la solution de « cap-and-dividend » (plafonnement et dividendes) dédiée aux changements climatiques.

Illustrations PaternitéPas d'utilisation commerciale Travis S. PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification anyaku2419 Paternité Andy Beez