Pour en finir avec l’insupportable chantage du second tour

Au lieu de débattre des vraies solutions au problème d’un système électoral à bout de souffle, nous succombons collectivement à une dynamique de terreur psychologique insupportable contre l’abstention. Voilà comment nous sortir par le haut du problème dont nous sommes tous victimes.

On assiste à un débat complètement contre-productif entre ceux qui ne veulent pas se soumettre à la règle implicite du système à deux tours ; et ceux qui veulent éviter Le Pen à tout prix. Contre-productif car les deux camps ont totalement raison: la montée du FN est à rejeter tout autant que le système anti-démocratique de l’élection à deux tours. Nous rejetons la faute sur les autres alors qu’en fait, nous sommes tous les victimes de ce système absurde.

Personnellement, je pense que j’irai voter Macron. Mais je sympathise au plus haut point avec ceux qui n’en peuvent plus de ce système électoral, qui leur oblige en pratique de voter contre leurs convictions. D’autant qu’il existe plein de systèmes de vote alternatifs bien supérieurs au notre dont certains ont d’ailleurs été expérimentées par certaines communes !

Mais au lieu d’en débattre, nous succombons collectivement à une dynamique de terreur psychologique insupportable. Le seul moyen de s’en sortir par le haut est de s’assurer que cette insupportable situation soit la dernière! La Der des Ders que dis-je !

Ainsi, si Emmanuel Macron était intelligent, il dirait un truc du style:

Je comprends la situation inconfortable que vivent beaucoup de citoyens. En Démocratie, personne ne devrait se sentir contraint de voter pour moi. Je souhaite que les Français adhèrent à mon projet, et pas seulement par rejet de l’extrême droite. Pourtant, c’est la situation actuelle, à cause d’un système électoral conçu pour un système bipartisan devenu obsolète. Le simple fait que je sois arrivé au second tour démontre que ce système n’est plus adapté à la politique d’aujourd’hui. Je prends la mesure du problème qui se pose et m’engage, si je suis élu, à mettre en place une réforme du système électoral basé sur les propositions d’un jury de citoyens tirés au sort. J’ai confiance dans la capacité des citoyens à élaborer un système plus démocratique que celui que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agit d’une nécessité absolue si nous voulons sortir de la logique du bipartisme.

Une telle annonce suffirait-elle à soulager un certain nombre d’abstentionnistes de voter Macron ? Peut être pas, mais ça irait dans le bon sens. Et ça lui couterait quoi de faire une telle annonce ? Ca devrait plaire à son électorat centriste qui demande la proportionnelle depuis des lustres ! Et après tout s’il prétend être le candidat du renouvellement démocratique, voilà une mesure qui a un peu plus de gueule que de pinailler sur le nombre de parlementaires (cf. page 23 du programme de En Marche!)…

Mais comme Emmanuel Macron ne formulera probablement pas une telle promesse, voici ce que la France Insoumise devrait faire : exiger un tel engagement comme unique condition de leur appel à voter Macron. Imaginez une telle déclaration de Jean-Luc Mélenchon:

Nous avons toujours été les adversaires les plus farouches du Front National. Mais la lutte contre le Front National ne s’arrête pas à l’échéance du 7 Mai 2017. Nous ne vaincrons le fascisme qu’en 1. combattant les dérives du néolibéralisme et 2. en réformant nos institutions pour les rendre plus démocratiques. Aujourd’hui, nous sommes appelés à voter pour un candidat qui lui même, par ses propositions, contribue à la montée de l’extrême droite en France. Cette situation est insupportable, nous ne nous soumettrons pas à ce chantage absurde. Pas sans un minimum de progrès pour que cette situation cesse de se reproduire tous les 5 ans.
Prenant acte que nous ne pouvons pas exiger d’Emmanuel Macron qu’il modifie sa ligne neolibérale sur laquelle il a été portée au second tour, nous exigeons en revanche qu’il s’engage pour une véritable refondation des institutions de notre pays, et au premier chef du système électoral. Ainsi, nous soutiendrons le candidat Macron à l’unique condition qu’il s’engage fermement à lancer, dès le premier semestre de son mandat, un processus de délibération citoyenne conduisant à une réforme du système électoral. Voilà notre offre. Elle est républicaine, orientée vers l’intérêt de tous les Français, quelques soient leur bord politique. Il en ressort de la survie de l’esprit démocratique de notre pays. Amen.

 

Je sais, c’est pas la belle assemblée constituante que JLM nous promettait, mais c’est mieux que rien. Si Macron accepte le compromis, la France Insoumise pourra se targuer d’avoir arraché une belle petite victoire et aura dores et déjà démontré sa capacité à engager un rapport de force, avant même la législative. Ca serait un joli coup politique, non ?

Si Macron refuse et que Le Pen gagne, alors la responsabilité historique de cette situation sera belle et bien sur les épaules de Emmanuel Macron, qui démontrerait au passage que sa volonté de rénovation démocratique du pays est effectivement bel et bien du flan.

Sinon, comme d’habitude, la faute sera irrémédiablement rejetée (injustement à mon sens) sur les abstentionnistes et tous ceux qui auront entretenu l’ambiguïté de leurs intentions. Et bis repetita dans cinq ans…

Il reste 10 jours pour faire la différence et arrêter cette spirale infernale qui remonte les citoyens les uns contre les autres au nom d’un système digne des shaddocks. C’est trop peu et largement assez en même temps. À vous de jouer, donc…

20 commentaires

  • Jérôme

    C’est vrai que Mélenchon avait proposé une nouvelle voie constitutionnelle. Mais 81% des électeurs n’ont pas été convaincus. C’était peut-être trop tôt, décalé avec les réalités quotidiennes des Français.

  • Jérôme

    Et si Hamon rejoint l’initiative, il y a de quoi faire basculer la situation. Même pas besoin d’avoir le soutien du PS, un appel du candidat suffirait à faire bouger les lignes. Tout le monde y gagnerait et y’a de quoi parier que tous les petits candidats pourrait soutenir cette proposition comme compromis de l’urgence.

  • En effet on pourrait attendre du collecteur de voix qu’il donne des gages que le vote «contre» sera suivi de la mise en place de quelque chose visant à ce qu’on arrête les seconds tours #toutsaufmachine et #salaudquifaitdefaut

    Petite proposition d’arrêter de nous « entre mobiliser », accepter nos complémentarités=> http://vincent.mabillot.net/complementarite-du-vote-par-defautdepit-et-de-labstentionnul-14826

  • François P.

    Autre solution: Le vote blanc. Vue la situation, si chaque électeurs ne se reconnaissant ni dans le programme de Le Pen ni dans celui de Macron votait blanc, il n’est pas impossible que ce vote soit majoritaire. Non pris en compte pour l’élection, ce vote ne pourrait pourtant être ignoré.

    • J’ai longtemps défendu l’idée d’utiliser le vote blanc précisément dans une telle situation. Mais au final j’y crois de moins en moins comme utilisation tactique, en tout cas pas de façon improvisée au dernier moment. Les gens sont trop flippés par le FN pour oser faire ça.

    • Tijo

      J’ai aussi été un temps favorable à la reconnaissance du vote blanc. Mais en réalité je pense que c’est juste irréalisable. Si le vote blanc est majoritaire au 1er tour, on organise un 2ème scrutin. Si le vote blanc arrive encore en 1ère position au 2eme scrutin, on refait un 3ème ? Puis un 4ème ? Jusqu’à quand ? Ca ne peut pas s’éterniser… Donc on décidera que le n-ème scrutin sera le dernier et donc que le vote blanc ne sera plus comptabilisé pour ce dernier. Résultat, ce serait injuste pour les candidats (et leur électorat) des scrutins précédents où le vote blanc est arrivé 1er. Non je pense finalement que la reconnaissance du vote blanc est une fausse bonne idée…

      • Pour préciser ma pensée : je pense toujours que la reconnaissance du vote blanc est une bonne idée. Un certain % de votes blanc devrait pouvoir bloquer la légitimité d’une élection, tout en sachant qu’un tel cas de figure (celui que vous décrivez est très improbable). L’un des arguments pour la reconnaissance vote blanc est précisément que cela renforcerait la compétition politique puisque les candidats devraient réellement prendre en contre les demandes des « électeurs blancs » pour les séduire (et ainsi d’éviter le blocage politique). Personnellement je suis tout à fait en faveur de cette règle, mais j’en suis arrivé à la conclusion que

        1. Il s’agit d’une priorité secondaire vis à vis de l’abandon pur et simple du scrutin à deux tours vers un système permettant d’évaluer chaque candidat individuellement (condorcet, vote alternatif ou autre : pourvu que les citoyens tirés au sort délibèrent et fassent une proposition !).
        2. L’idée d’organiser un vote blanc massif entre les deux tours (pour éviter de cautioner ni Macron ni Le Pen) me semble futile voire dangereuse. C’est sur ce point que j’ai changé d’avis.

  • Jérôme

    > Autre solution: Le vote blanc.

    L’un n’empêche pas l’autre. Imagine une pétition qui récolte plusieurs millions de soutiens:

    Soit Macron refuse de s’engager et perd: la nécessité de réformer le mode de scrutin sera évident, et Macron sera entièrement responsable de la victoire de MLP.

    Soit il refuse de s’engager et gagne: alors rien à changer, et on n’a rien perdu

    Soit il s’engage et perd: alors il semble évident que son succès au premier tour est le résultat d’un vote utile, et il est urgent de réformer le mode de scrutin (la méthode du jugement majoritaire permet d’éviter ce genre de stratégie)

    Soit il s’engage et gagne: alors il doit à ses électeurs cette réforme
    – s’il la mène à son terme, eh bien on est tous gagnant
    – s’il ne la mène pas, alors il aura totalement trahis ses électeurs. On a raison de plus de s’opposer à sa politique et il démontre explicitement que son positionnement ni-gauche-ni-droite n’est que posture. C’est son élection qui est remise en cause, et non son programme.

  • Denis

    « Si Macron refuse et que Le Pen gagne …..[] Et bis repetita dans cinq ans… »

    Euh, si Le Pen gagne, tu crois sérieusement que tu auras le droit de rejouer dans 5 ans? Si Le Pen passe c’est l’Europe entière, France inclus, qui va changer de monde politique. Bye bye République et Démocratie pour quelques temps… Sans même la majorité à l’assemblée, elle a les moyens de le faire. Pour que ça passe il faudra de la violence, des attentats, du sang… Mais c’est un détail.

    L’Allemagne se trouvera un peu seule et essaiera de fédérer les pays de l’est, avec la Russie en face. Trump se focalisera sur la Chine. L’Angleterre sera un paradis fiscal.

    Hitler est passé avec 40% des voix. Avec des votants et non votants convaincus qu’après l’horreur de la première guerre, ce n’était pas non plus une catastrophe s’il passait.

  • Pierrick le Feuvre

    Il n’y a pas à avoir un accord ou je ne sais quel compromis avec Macron qui, de toutes façons, n’envisage à aucun instant de modifier quoi que ce soit aux règles institutionnelles qui lui vont si bien, et à ceux qui le financent et/ou le soutiennent, en particulier pour ce deuxième tour.

    Hormis le vote pour Le Pen, qu’il faut combattre avec force, peu importe ce que feront les gens pour ce second tour. Toutes les expressions (ou non expressions) sont respectables. L’essentiel est de rester unis. Et pour ceux qui ont cru dans le projet de la France Insoumise porté par Mélenchon, la bataille continue pour les législatives. La FI est en tête dans plus de 70 circonscriptions, et en situation de se maintenir au 2e tour dans plus de 450 autres circonscriptions. Restons unis et soyons conquérants pour gagner ces législatives, contre Le Pen et contre Macron.

    Gagnons ces législatives et le programme de la France Insoumise pourra être mis en place par nos députés. Macrons sera obligé de se soumettre ou de démettre. Et les réformes de nos modes électoraux que tu proposes pourront être discutées (et peut-être intégrées) dans le cadre de la Constituante et de la future 6e République.

    • Pierrick, Il ne s’agit en aucun cas de chercher un accord, mais juste de faire une déclaration pour exprimer quel serait le minimum vital pour appeler au vote. Et au passage ça ferait un peu de pédagogie pour expliquer l’abstention. Dans tous les cas, le combat continue pour les législatives, c’est évident.

      Mon point est simplement de dire :
      • qu’entre les abstentionnistes et les barragistes qui voteront Macron il y a en fait un point commun, le dégout du scrutin majoritaire à 2 tours. Donc arrêtons de nous entre-tuer et discutons du vrai sujet.
      • qu’il y a moyen de faire bouger les choses dès maintenant.

      Maintenant je comprends bien qu’il y a peu de chances qu’aucun des deux ne bouge le petit doigt, sauf grosse pression populaire.

  • Julien C.

    La meilleure option ce serait de lancer un front républicain contre Macron. Un truc qui viendrait de la rue et qui contesterait la mascarade en cours pour remettre le système à plat.

    Alors ouais, sur le papier c’est une révolution. Mais bon faut savoir ce qu’on veut à un moment. Soit on continuer à pleurer que le monde est pas gentil soit on le change.

    J’irais pas m’immoler à pole emploi pour lancer le mouvement, mais on peut faire un décompte des victimes de la logique économique défendu par Macron. Parce que ca c’est tabou, et des jeunes cons qui dénoncent les victimes du Macronisme au lieu de voter Macron ca ca peut faire du bruit.

    En plus je veux offenser personne hein, mais les électeurs de gauche viennent d’appeler Hamon et Mélenchon à se réunir pendant des semaines. Je parle de l’au dela de la bulle militante. La ou on se foutait de savoir lequel avait la plus belle kekette de gauche pour se concentre sur l’essentil. La possibilité d’une victoire.

    Par conséquent appeler Mélenchon et Hamon à quoi que ce soit, ça sert à rien. C’est déjà essayé, déjà éprouvé, déjà loupé. Et rien que ça, ça justifie pour tout électeur de gauche de dénoncer cette mascarade. Parce que moi je me suis jamais senti représenté par eux, et c’est bien le fond du problème.

    Leurs idées oui! Mais eux en tant que personne, rien à foutre. Ils ont conduit à la défaite de nos idées. Ils sont des poids morts. Faut l’acter, se passer de leur autorisation et se donner le droit de défendre nos intérêts nous même.

    Parce que le fond du problème il est là hein. Soit on se regarde le nombril et puis dans cinq ans on recommence à chialer parce que le système est mal foutu, soit on se comporte comme des adultes, on relève nos manches et on siffle la fin de la récrée.

    Non parce que pour rappel, ils nous gouvernent, ils ont le pouvoir. Ok. Mais ça ça tient quand qu’on l’accepte. Si demain on leut dit d’aller pointer à pole emploi, ils le feront. On est en démocratie. Merde.

  • Liréau

    Bonjour,
    J’aime beaucoup votre proposition. Mais maintenant on fait comment ? Une pétition ? Il existe déjà quelque chose ?
    Merci

  • OuiMossieur

    Excellente analyse qui présente un scénario gagnant pour tout le monde.

    À étudier: le mode de scrutin de Condorcet qui, depuis que je l’ai découvert récemment, me paraît être le plus démocratique qui soit.

    Avec un tel système, fini le chantage au FN, adulé par une minorité et détesté par une très large majorité.

    • OuiMossieur

      Voici une vidéo qui détaille son principe: https://youtu.be/wKimU8jy2a8

    • Jug

      Il y a également le jugement majoritaire, inspiré de condorcet, avec ce mode de scrutin, un candidat rejeté (la note la plus basse) par plus de la moitié des votants n’auraient aucune chance d’accéder a un deuxième tour, donc bye bye Marine… il evite aussi qu’un candidat soit désavantagé s’il y a d’autres candidat sur la même ligne politique, donc la présence de Hamon n’aurait pas affaiblie autant la candidature de la FI. Avec ce mode de scrutin, Le Pen aurait fait 8% en 2002, et Bayrou aurait été élu en 2008. Il est porté par le CNRS. https://www.jugementmajoritaire2017.com

  • Dean Corso

    Non, ce n’est pas dû chantage ! Mélenchon s’est présenté, il a fini quatrième alors que le PS avait un baltringue comme candidat, ce qui signifie clairement que les électeurs ne voulaient pas de son programme utopique. Maintenant, le choix doit se faire entre Macron et Le Pen et ce n’est pas aux losers d’imposer leur desiderata au vainqueur.

    • 66% des électeurs n’ont pas voulu ni de Macron ni de Le Pen, pourtant c’est entre ces deux là qu’il faut maintenant voter. Dit encore autrement il n’y a que 1,5M ou 4% de voix d’écart entre Macron et Mélenchon. Je dis pas que Mélenchon aurait du gagner, mais simplement que le mode de scrutin à deux tours à abouti à un résultat au final assez hasardeux, ce qui fait que la majorité des citoyens ont le sentiment que le résultat final ne va pas du tout refléter leur vote initial.

      Est-ce démocratique ?

  • Pierre Ristic

    Bonjour.

    Nous avons monté un collectif sur Facebook qui rejoint dans les grandes lignes votre reflexion. Nous aimerions diffuser ce texte demain. Ca vous dit d’y participer ? : https://www.facebook.com/groups/120212045198667/