De l’indépendance de la BCE

Pour poursuivre le raisonnement développé dans mon dernier article sur la monnaie, ce qu’a fait la Banque centrale européenne cette semaine est un exemple frappant de l’injustice monétaire du système.

Et mérite à ce titre quelques explications comme certains me l’ont demandé.

Qu’a fait la BCE ?

Pour ceux qui auraient raté l’info, mercredi 21 décembre, Francfort a alloué 489 milliards d’euros aux banques, sous la forme de prêts à trois ans, à un taux minimal de 1%. La BCE mène très souvent des opérations de refinancement des banques (c’est son rôle !) mais cette fois ci, l’opération est exceptionnelle a plus d’un titre :

  • l’échéance : 3 ans ! C’est la première fois que la BCE propose ce genre d’opérations. La BCE avait déjà réactivé récemment ses prêts à 1 an, ce qui n’a apparemment pas suffi !
  • le taux : 1%, c’est le taux minimum jamais appliqué par la BCE
  • le montant : 489 milliards d’euros, c’est le record absolu depuis le début de la zone euro pour une seule opération (le dernier remontant à juin 2009). Un montant d’ailleurs nettement dans la fourchette haute des estimations des analystes. Et comme si cela ne suffisait pas, la BCE va remettre ça en février !
  • Le risque : la BCE a revu à la baisse ses exigences de « collatéral » c’est à dire les garanties à présenter pour participer à l’opération. En échange de ces liquidités, la BCE demande aux banques de lui confier des actifs. Mais début décembre, la BCE a annoncé qu’elle allait élargir l’éventail des actifs éligibles, permettant ainsi aux banques de se débarrasser d’actifs illiquides sur le marché. Le risque est ainsi transféré des banques privées vers la banque centrale (et donc in fine, sur les contribuables)

Voilà pour les aspects « techniques ». Mais le pire est dans l’objectif ou les attentes affichées par cette opération. Nicolas Sarkozy s’étant par exemple félicité de cette opération, affirmant que cela permettrait aux banques de continuer à acheter de la dette souveraine, ou à prêter aux entreprises. Une bonne nouvelle, selon lui.

Il est clair que la BCE cherche à éviter un « crédit crunch », ce qui, dans la logique du système, est la seule chose à faire. Mais enfin, réfléchissons un peu : la BCE prête à 1% sur 3 ans, tandis qu’un pays comme l’Italie s’endette, sur la même échéance, à près de 7% ! Autrement dit, si tant est que les banques retournent sur le marché des dettes souveraines (elles doivent aussi renforcer leurs fonds propres), elles vont bénéficier d’une véritable aubaine : de l’argent quasi gratuit à aller investir sur des obligations quasi sans risque, empochant au passage un écart de taux pas désagréable.

Et ça, Sarkozy & consorts s’en réjouissent !!! Autrement dit, ils assument totalement le fait qu’il faille faire des cadeaux aux banques pour « relancer la machine ». Comme je l’écris sur Reflets.info :

Le dogme est ainsi posé dans sa plus explicite absurdité :  financer les États directement par la banque centrale, c’est mal, par contre faire des cadeaux aux banques pour qu’elles continuent de financer les États ça c’est bien ! Cherchez l’erreur.

Que l’on me comprenne bien : je ne dis pas que donner la planche à billet à l’État soit la panacée. Et encore moins qu’une monétisation massive de la dette soit la solution. Cela fait éventuellement partie de l’arsenal à déployer pour se sortir du traquenard (en complément d’une restructuration de la dette et d’un revenu de base) , mais ne sera jamais en soi une solution complète telle que le dividende universel.

Seulement, reconnaitre l’absurdité du système actuel et déverrouiller les statuts de la BCE serait le début d’un déblocage non seulement économique mais aussi psychologique. Car beaucoup de choses deviennent possibles lorsque l’on reprend contrôle de l’outil que l’on utilise tous les jours et dont on a tant besoin.

Tout cela m’amène à parler de la pseudo « indépendance de la Banque centrale », un beau principe si seulement il était vraiment appliqué.

Le mirage de l’indépendance de la BCE

Demandez donc aux irlandais s’ils pensent que la BCE est indépendante. Sous Jean-Claude Trichet, la BCE a eu une influence majeure sur la politique du gouvernement, en faisant pression sur ce dernier pour qu’il demande un plan de sauvetage… afin éviter à tout prix qu’il ne fasse subir des pertes aux créanciers des banques nationalisées (et notamment la banque Anglo) ce qui aurait provoqué un précédent inquiétant en Europe. C’est ainsi que les contribuables continuent aujourd’hui de rembourser des milliards à des investisseurs privés, pour la dette de la banque Anglo qui n’a de banque que le nom (et la licence…), tous les dépôts ayant été transférés vers d’autres établissements, faisant de Anglo ni plus ni moins qu’une banque fantôme. En voilà un exemple, de la merveilleuse indépendance de la BCE !

Les monétaristes se réjouissent que l’indépendance de la BCE soit inscrite dans les traités, par l’article 123 de Lisbonne stipulant que Francfort n’a pas le droit de contribuer au financement des administrations publiques de la zone euro. Mais en réalité, le simple fait d’inscrire cela dans le statut de la BCE rend cette institution totalement dépendante et asservie aux banques privées, puisque, comme nous le voyons aujourd’hui, le seul moyen de « sauver » l’économie, c’est de permettre aux États de continuer à s’endetter, et donc d’aider les banques à continuer à le faire. Une banque centrale véritablement indépendante devrait pouvoir aider les banques, mais aussi aider les gouvernements s’il s’avérait que les banques étaient devenues hors de contrôle, ou en tout cas si aider directement les États s’avérait être la moins pire option.

L’indépendance de la banque centrale des hommes politiques, c’est bien. Mais encore faudrait-il se garder de nourrir les intérêts privés de l’oligarchie financière au nom de ce sacro-saint principe. Mais ça, la BCE n’en a clairement rien à foutre, vu que ce n’est pas inscrit dans les traités…


Illustration PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification European Parliament

14 commentaires

  • DeStROY dA WoRld

    Magnifique article, comme d’habitude ! Je lis ton blog que depuis récemment mais je suis surpris à chaque fois de ta capacité à vulgariser et à prendre du recul sur un problème si concret.

    L’article 123 du Traité de Lisbonne est source de bien des problèmes aujourd’hui et le système monétaire dans son ensemble mérite une grande refonte technique et surtout psychologique.

    Au plaisir de te relire.

  • Tassin

    Très bon article Stan.
    A ce sujet dans le journal Fakir d’octobre 2011 tu trouveras un article de plusieurs pages concernant la BCE et son rôle en faveur des banques.

  • Une remarque tout de même, si l Italie émet a 7% et les banques se refinancent a 1% en apparence c’est que la marge de 6% represente le prix du risque évalué par le marche. Si c était vraiment cadeau c est a dire 6% sans risque les banques se rueraient sur le papier et les taux s effondreraient annulant d un coup une bonne partie de la marge. Rappelons que les banques viennent de perdre 50% sur la dette grecque 50% ca fait une marge de 3% pendant 15 ans c est pas rien.

    Globalement Banquiers et Gouvernements sont complices dans cette affaire c est du donnant donnant : le but gagner du temps en faisant de la cavalerie en escomptant un hypothetique recours de la croissance ou de l inflation.

    Le surendettement dans l histoire n a jamais eu qu une seule sortie une seule : la spoliation des biens des riches. On y viendra de force.

  • @Borowic : oui les 6% sont le prix de marché, mais tout les plans qu’alignent les dirigeants depuis le début de cette crise consistent précisément à faire en sorte qu’il n’y ait pas de risque sur la dette souveraine. Donc en théorie, ça reste du « sans risque ».

    Et le cas du pseudo effacement de la dette de la Grèce est de la poudre aux yeux, puisqu’il ne s’agit pas d’un défaut mais d’un échange volontaire. Donc les banques repartiront avec de nouveaux bonds à plus long terme, qu’ils pourront confier à la BCE.

    Mais bien sûr tout cela ne pourra pas tenir. Un jour où l’autre on devra au minimum restructurer cette dette. De là à parler d’une « spoliation »… j’y vois plutôt la simple réalisation du risque que vous mentionnez à juste titre. Les investisseurs ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre c’est à dire des rentes confortables sans jamais prendre de risque.

    Ce système dont profitent les banques et les gouvernements comme vous le dites (mais sur le dos des citoyens, rappelons le) n’a que trop duré.

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  • @borowic

    De plus votre raisonnement est unilatéral ! C’est pénible comme biais permanent tout de même ! Je cite :

    si l Italie émet a 7% et les banques se refinancent a 1% en apparence c’est que la marge de 6% represente le prix du risque évalué par le marche.

    Le raisonnement absurde est : puisque c’est risqué augmentons donc le risque que le pauvre ne puisse jamais rembourser. Au lieu de suspendre les paiements de réduire les intérêts demandés et de demander un remboursement du capital le temps que les choses s’améliorent. Ou comment massacrer celui qui est en difficulté. Admettons soit.

    Rappelons que les banques viennent de perdre 50% sur la dette grecque 50% ca fait une marge de 3% pendant 15 ans c est pas rien.

    Mais alors pourquoi la BCE prête à 1% à ces banques qui essuient des pertes et donc augmentent leur risque de non-remboursement ? Non, suivant le même raisonnement l’intérêt demandé aux banques devrait donc être de 10%, 15% ou plus, comme pour la Grèce !

    Qu’est-ce donc que ce raisonnement à sens unique ?

    Aucun scientifique n’aborde les Lois sans penser la symétrie, qui donc tient un raisonnement asymétrique si ce n’est le dogmatique, le tenant de l’obscurantisme ?

  • Bonjour,

    Il me semble que vous ne voulez pas voir que les banques et les états ont fusionné en un système corrompu qui n’a comme objectif que sa propre survie (les états et les banques ont fusionné comme vous avez pu le constater en 2011 en Europe, avec des ministres de finances qui dirigent maintenant le FMI et le FMI qui dirige maintenant les ministères des finances). Le système bancaire tout entier a besoin de la monétisation de la dette pour sa SURVIE*. Par contre, la survie du système bancaire entraînera la dépression économique car sauver les obligations consistera à siphonner l’épargne destinée à financer l’économie réelle (l’état n’est pas l’économie, enfin pas encore totalement car il y a encore 40 à 50% du PIB qui font que nous ne sommes pas dans un régime soviétique).

    Cela fait bientôt 20 années que le Japon a tenté l’expérience de la monétisation des dettes sans succès et est maintenant confronté à des taux de croissance extrêmement bas sous le poids d’une dette publique qui a suivi une croissance exponentielle à mesure que les taux longs baissaient sous les effets des rachats de sa banque centrale (taux à 10 ans sous 1%, dette publique supérieure à 200% du PIB et Yen en hausse face à toutes les monnaies; le Japon toujours en excédent commercial avec les Américains alors que le Yen a plus que doublé face au $, soit un exemple concret qui ruine à lui seul toutes les théories friedmano-keynésiennes de ses 50 dernières années). A notre tour de tenter la même expérience, avec le même succès garanti. Et je suis prêt à faire le pari que 99% des économistes vont applaudir lorsque la BCE prêtera à zéro % à tout le monde, et que 99% des économistes mainstream vont nous ressortir leur fameux : « attention à l’inflation que cela va provoquer ».

    Finalement oui vous aviez raison : il ne faudrait en théorie pas rembourser la dette, mais comment faire que ce non remboursement soit réalisé de manière équitable entre les citoyens et que les épargnants de la classe moyenne ne soient pas spoliés injustement au profil des fameux 1% ? C’est plutôt cette question qu’il faudrait se poser.

    En résumé : la planche à billet entraînera non pas l’inflation, mais une dépression durable de l’économie réelle au profit de la rente obligataire, et ne fera que renforcer la croissance de la dite dette et de la dite rente.

    * Les Grecs seront vraisemblablement « sacrifiés » pour l’exemple, mais ce n’est qu’un stratagème pour faire accepter la rigueur parallèlement à la monétisation des dettes dans toute l’Europe.

    Daniel

    • @dan_y44

      Bonjour,

      Détrompez-vous, j’ai parfaitement conscience du biz-biz entre Etats et banques depuis bien longtemps.

      C’est d’ailleurs en reconnaissance de cette entente bien avantageuse, que je pense qu’il conviendrait de faire un audit complet de la dette publique et ensuite de la restructurer, voire de décréter un défaut partiel.

      En revanche, il ne faut pas se leurrer : les petits épargnants sont les « boucliers humaine » des gros rentiers, dans cette histoire. On les brandit pour semer la terreur dans la population.

      Mais il faut bien comprendre que de toute façon personne ne sortira indemne de ce piège. Austerité, inflation ou défaut, chaque solution à ses perdants. Mais en occurrence, le défaut vise justement ceux qui ont de l’épargne à la base…

      Sinon, la monétisation pourrait être une bonne voie si elle est pratiquée par la distribution d’un dividende universel. Mais on en est loin….

  • le problème est que les économistes confondent l’actuelle monétisation avec la monétisation façon années 50-60 qui consistait à payer les frais de fonctionnement de l’état avec de l’argent imprimé par la banque centrale, qui en l’occurrence CIRCULAIT dans l’économie et créait bien de l’inflation réelle des prix à la consommation. Rien à voir aujourd’hui, l’argent se réfugie sur les obligations à des taux toujours plus bas voir même parfois négatifs, en formant une bulle obligataire, sans inflation des prix.

    http://dany44.blogspot.com/2010/11/linflation-en-trompe-lil.html

    En revanche, je ne partage pas en votre théorie sur le dividende universel et préfèrerait un retour à des monnaies papier convertibles en métaux monétaires, qui empêchent les dérives des états et/ou de ceux qui dirigent les banques centrales, et apportent une meilleure stabilité des taux et donc des investissements dans la durée.

  • @dany_44 Comme tu es respectueux des libertés tu acceptes donc les choix monétaires d’autrui, et quant à toi puisque tu estimes que les métaux te paraissent une « monnaie » (ce que nous réfutons dans notre propre système) tu l’utilises et l’utiliseras comme telle sans pour autant l’imposer à autrui.

    Et de ce fait toi comme autrui vivrez en bonne intelligence, chacun respectant la « monnaie » de l’autre sans vouloir l’imposer à autrui par la force ou la coercition, en comprenant que chacun n’a pas la même définition de ce que signifie « monnaie » selon le modèle de référence auquel il se réfère et qu’il pratique en toute liberté.

  • Pourquoi pas en effet : selon les principes de l’école Autrichienne, la bonne monnaie chasse la mauvaise 😉

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