Droit d’auteur à outrance sur internet

Dans mon précédent article Le droit d’auteur a-t-il mal tourné ?, je montrais comment le droit d’auteur avait progressivement évolué vers un système qui n’est plus animé par les mêmes fondements et motivations que lors de sa conception initiale. J’essayais ainsi de montrer comment le droit d’auteur était devenu un artefact au profit des sociétés d’ayants droits plus qu’aux auteurs et au public.

Dans ce nouvel article, je voudrais maintenant aller plus loin en abordant plus spécifiquement les conséquences de cette (mauvaise) conception du droit d’auteur, sur ce qui en découle : son utilisation. En effet, si l’on y regarde de près, le droit d’auteur est bien souvent utilisé abusivement, je dirais même à outrance.

Que protège le copyright : l’œuvre ou le contenu ?

Dans mon premier article, je rappelais qu’il est impossible et illégitime de posséder une idée (et donc d’en revendiquer la protection). Ce sur quoi on m’a reproché ici et de confondre « idée » et « oeuvre ». Il est vrai qu’il existe une nuance que j’avais omis de traiter.

Cette distinction est pourtant très importante : le droit d’auteur est censé protéger les créations de l’esprit à la condition qu’elles soient « originales ».

Or la plupart des « créations de l’esprit » ne sont pas originales… surtout sur internet ! En fait, j’ai l’impression que l’on confond « contenu » et « œuvre ». Or, si une œuvre est par défaut un « contenu », l’inverse n’est en général pas vrai : tout contenu n’est pas une œuvre. On retrouve d’ailleurs, par analogie, la même distinction dans le cadre du droit des brevets, censés protéger une invention, et non une idée (même si certains ont tendance à l’oublier).

Alors bien sur, une fois que l’on dit cela, il faut arriver à définir ce qu’est une œuvre de ce qui ne l’est pas… Très difficile tâche que je m’abstiendrai de traiter ici pour la laisser aux philosophes de passage sur ce blog 🙂 . En attendant, je ne peux m’empêcher d’émettre des doutes sur la validité du caractère original de ces quelques exemples de contenus trouvables sur internet :

  • Un article de presse : l’article-type d’un site de presse en ligne comme lemonde.fr n’est souvent qu’une reprise d’un dépêche de l’AFP, elle même reprise par 12 autres « journalistes » (pareil pour de nombreux billets de blogs).
  • La 12340eme photo de la tour Eiffel prise par le touriste lambda que l’on peut trouver sur Flickr ou Picasa…
  • Une police de caractère…
  • etc…

Dans de nombreux exemples, une fois dépassé le caractère original « sur la forme » il ne reste pas grand chose… Une information brute reste la même quels que soient les mots employés pour l’annoncer, la Tour Eiffel reste la Tour Eiffel qu’il fasse bleu ciel ou gris, un A reste un a

Outil de protection artistique ou de e-réputation ?

Dans une autre catégorie des usages outranciers du droit d’auteur, on ne peut passer à coté de ces entreprises ou même organisations religieuses qui utilisent le droit d’auteur ni plus ni moins pour faire valoir une espèce de droit à l’image difficilement contrôlable autrement. Dit autrement : ces organisations prétextent le droit d’auteur pour s’autoriser ainsi à retirer des contenus – maladroitement publiés – de l’espace publique. Un certain nombre de ces pratiques douteuses sont d’ailleurs recensées sur un Takedown hall of shame (mur de la honte) par l’EFF. En France, on se souvient notamment du cas Ralph Lauren ou encore de Canal+.

Sans même remettre ici en cause le caractère original/artistique des contenus pointés, on remarque clairement une utilisation abusive du droit de propriété d’auteur qui est ici complètement dénaturé de sa substance initiale : la protection des œuvres et la rémunération des artistes. Pire, ces pratiques enfreignent le droit à l’information.

Faut-il protéger toutes les œuvres de la même manière ?

Même en considérant qu’une création soit véritablement originale, on peut toujours se poser la question de la pertinence d’une protection absolue par le droit d’auteur. En fait, la question qui se pose derrière, c’est le caractère systématique du droit d’auteur. Il faut en effet savoir que dans le droit français (et je suppose qu’il est de même ailleurs), la propriété d’auteur est systématiquement accordée à l’auteur (qui n’a donc pas à prouver a priori la paternité de son œuvre).

Ainsi le droit d’auteur en version « tous droits réservés » est bien souvent attribué à une œuvre sans même que son auteur ne se pose la moindre question. Je crois au contraire que le choix de la licence devrait émaner d’un choix délibéré de chaque créateur, forçant ainsi celui-ci à se poser les questions suivantes : « Ma création est-elle originale, unique ? Est-ce véritablement une œuvre ? » ; et enfin : « Ma création nécessite-elle une protection absolue ? ».

Par exemple, est-il normal que l’ensemble des contenus audiovisuels d’une chaine de télévision publique (donc financée par les contribuables…) soient sous copyright ? Ne serait-il pas opportun de remettre ce contenu au domaine public (comme commence à le faire la Norvège…) ? De même, un photographe amateur n’a-t-il pas intérêt à mettre ses photos sous Creative Commons, permettant ainsi à d’autres de les utiliser (moyennant bien sur le respect de certaines conditions) plutôt que d’en interdire par principe toute réutilisation ? Ces créations ne sont-elles pas davantage valorisées en étant utilisées ?

Enfin, le caractère automatique du droit d’auteur pose aussi le problème des œuvres orphelines.

L’utilisation abusive (et massive) du droit d’auteur, une menace pour la société numérique ?

Les différents abus que je cite ne sont que des exemples parmi beaucoup d’autres. J’ai d’ailleurs créé un pearltree pour rassembler d’autres cas divers et variés d’utilisations à tords et à travers du droit d’auteur (n’hésitez pas à apporter vos contributions 🙂 ) :

Outre les modalités actuelles du droit d’auteur que je dénonçais dans mon premier article, il existe donc un autre problème : le fait que la grande majorité des contenus disponibles sur internet ne justifient pas la mise sous protection du droit d’auteur tel que défini par défaut (tous droits réservés).

Cette utilisation abusive et massive du droit d’auteur pose différents problèmes. Tout d’abord, il met celui-ci en conflit avec le droit à l’information, le droit de citation, le droit d’expression, et parfois même le droit à la Culture (cas des œuvres orphelines). Par ailleurs, cette sur-utilisation à tort et à travers du droit d’auteur n’a-t-elle pas tendance à dévaloriser les vraies œuvres ? En d’autres termes : puisque le droit d’auteur est devenu totalement absurde, n’est-on pas davantage tenté de le violer ?

En tout cas, ce problème est a priori difficilement imputable à la loi (ce qui complète donc mon premier article). En effet, pourrait-elle raisonnablement définir ce qu’est une œuvre ? Je ne crois pas. En revanche, on peut encourager l’utilisation de types de droits d’auteur  alternatifs permettant davantage de flexibilité aux créateurs de choisir une licence adaptée. Je pense évidemment aux licences Creative Common 😉 …

J’aurais encore beaucoup trop de choses à dire, mais je préfère m’arrêter sur ces interrogations : la suite dépendra peut-être de vos réponses… 😉

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Crédit image : CC Olivia Hotshot

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Collecte des droits d’auteur : bienvenue à l’âge de pierre

4 commentaires

  • Je souhaite apporter quelques précisions. La première est que les idées ne sont pas protégeables par le droit d’auteur : les seuls moyens de les protéger sont le silence et le contrat par lequel les personnes s’engagent à ne rien révéler.

    La seconde précision concerne la protection par droit d’auteur en France. Cette protection se fait à l’insu de l’auteur : il n’a pas le choix de protéger ou non son travail. Le seul fait qu’une oeuvre soit créée un droit exclusif au profit de son auteur ; il n’y a par ailleurs aucune formalité d’enregistrement. D’autre part, le mérite de l’oeuvre est une considération totalement ignorée par le droit : une dépêche AFP réécrite par un journaliste peut de ce fait être protégée…

    Quant aucaractère original « sur la forme », c’est justement le fondement même du droit d’auteur ! C’est cela qui permet de rédiger des romans qui reprennent par exemple la thématique de Roméo et Juliette.

    • @Jérôme :

      Merci pour ces précisions qui sont les bienvenues : je ne suis en effet pas du tout juriste : j’apprends en même temps que j’écris sur le sujet 🙂

      Sur ton premier point, je suis bien d’accord. Et c’est tout l’objet de mon article. J’ai l’impression que dans la pratique, ce sont bien souvent des idées que l’on protège, pas des oeuvres. Mais bien sûr la frontière est très floue entre ce qui est « original » ou pas, ce qui est une « oeuvre » ou pas.

      Une dépêche AFP ne véhicule pour moi qu’une idée, puisque l’expression de cette idée n’a pas d’importance. Ce qui fait sa valeur est la précision de l’information brute, pas la manière expressive dont cette information est véhiculée. Contrairement bien sur à une adaptation de Roméo et Juliette, où c’est l’inverse.

      D’ailleurs, il arrive que les remixes prennent plus de valeur que l’oeuvre originale (aux yeux du droit d’auteur en tout cas)… (Comme les dessins animés de Mickey par exemple…)

      Ce qui n’empêche pas notre société d’admettre en fermant les yeux la propriété d’auteur et tous les avantages qui en découlent sur des oeuvres qui ne le méritent finalement pas forcément. Et ce au dépend d’autres oeuvres oubliées. En effet, la plupart du temps, une oeuvre se définit comme telle a posteriori, parfois même des siècles plus tard !

      Bref, j’ai l’impression que cette notion d’originalité fait naitre un grand paradoxe car il ne définit finalement pas ce qui est une oeuvre ou pas. D’ailleurs je doute de la possibilité d’une loi pour définir ce qu’est une oeuvre.

  • Je pense qu’il y a une incompréhension sur les termes : le mot « oeuvre » tel qu’employé par le code de la propriété intellectuelle s’entend de la matérialisation du travail intellectuel, quelqu’en soit la forme. Le législateur a renoncé à définir ce qu’est une oeuvre et se borne à donner une liste d’exemples (art. L.112-2 CPI).

    C’est l’expression d’une idée que protège le droit d’auteur. À partir d’une information brute, les articles écrits par les journalistes, blogueurs… seront tous protégés par le droit d’auteur : ils relateront les mêmes faits mais de façon différente. C’est l’originalité ou plutôt l’empreinte de l’auteur qui fondera la protection.

    A contrario, un mode d’emploi de machine ne pourra, en principe, être protégé par le droit d’auteur : il n’y a qu’une seule manière d’expliquer le fonctionnement d’une machine.

    • Merci encore pour ces éclaircissements.

      Donc conclusion en gros c’est bien la loi qui est absurde dans son incapacité à définir ce qui devrait être protégé ou non ?
      Moi qui comptais – pour une fois – l’épargner …